3.12.23

 VEILLEZ Méditation pour le 1er Dimanche de l’Avent

L’évangile de ce 1er dimanche de l’Avent nous invite à la veille, à la vigilance…
Nous sommes appelés, dans cette marche vers Noël qui s’ouvre devant nos pas, à sortir vigoureusement de notre
torpeur.
Tant de soucis, de prétendues priorités, de « divertissements » (au sens ou Pascal utilisait ce mot, pour évoquer notre fuite devant les questions essentielles), tant de besoins matériels qui nous hypnotisent, tant de préoccupations contribuent - dans nos existences qui courent si souvent à la surface d’elles-mêmes - à cet endormissement de l’âme qui nous guette.
« Il y a en nous quelqu’un d’à moitié étouffé qui a
absolument besoin de se mettre à l’aise »
disait magnifiquement Paul Claudel.
Si nous voulons accueillir l’hôte intérieur, l’enfant de la divine Promesse, il nous faut nous réveiller pour mener en nous cet ardent travail spirituel de désencombrement ; faire « place nette » afin que le Christ, quand il viendra, ne trouve pas
punaisé sur la porte de l’auberge de notre cœur un vilain
écriteau indiquant : « complet » !
Car c’est un peu notre rêve : être « complet », sans manque ni béance, sans désir non satisfait, être « autosuffisant », trouver par nous-même et en nous-mêmes nos propres raisons de vivre, ne compter que sur nous-même, prétendre tenir
debout seul dans l’existence quelques soient les événements et les avis de tempêtes.
« Besoin de personne ! » « Ni Dieu, ni maître ! »
Rêve ô combien chimérique !
Entrer en Avent, c’est d’abord nous rappeler que nous n’y
arriverons pas seuls, que nos vies ont besoin d’être relevées, guidées, épaulées, « sauvées » par un Autre.
Entrer en Avent, c’est faire aveu de faiblesse et de fragilité, reconnaître notre cécité, notre chronique surdité spirituelle et, comme Jacob dans son combat avec l’Ange, l’inévitable claudication de nos vies.
Car, à quoi bon entrer en Avent si ce n’est pas pour attendre un « Sauveur » ?
Celui qui, comme le dit la reformulation du Notre Père, ne nous laissera pas « entrer en tentation ».
Cette tentation à laquelle le « diviseur » (« diabolos » en grec) essaie de faire succomber Jésus dans le désert : celle de la toute-puissance qui donne l’illusion d’avoir tous les
pouvoirs, de se croire capable de combler par soi-même ses propres faims, de guérir par soi-même ses propres blessures, d’accéder seul, tel un dieu prométhéen, à la vérité toute entière…
L’Église a eu raison de modifier cette traduction du Notre Père qui pouvait laisser penser que c’est Dieu lui-même qui nous « soumettrait » à la tentation.
Comment, en effet, un Dieu d’amour pourrait-il – prétendument pour notre bien ! – nous tendre un piège, mettre devant nous une occasion de chute ?
Dieu n’est pas un tentateur, ou alors, comme disait le
théologien et psychanalyste Maurice Bellet, c’est un Dieu pervers !
Lorsque l’évangile nous raconte les quarante jours de Jésus au désert, c’est bien le diable qui tente le Christ ; pas Dieu !
Autrement dit, retiens-nous, Seigneur, lorsque nous sommes tentés d’entrebâiller la porte sur le gouffre de l’absurde, freine notre élan lorsque nous risquons de ne plus croire en Toi, lorsque notre quête de Toi s’essouffle dans les raides
escaliers de nos vies bouleversées, lorsque nous commençons à douter de ta venue, lorsque l’auberge de notre âme prétend afficher « complet » alors qu’elle déborde d’un trop plein de vide, incapable d’entendre les appels de l’espérance qui frappe à la porte et patiente, encore et encore, sur le seuil de nos vies afin de venir naître en nous…
Oui, entrer en Avent, c’est commencer par se battre contre cette lourde porte que nous sommes tentés de verrouiller de l’intérieur pour empêcher le Christ de venir respirer en nous et nous donner son propre Souffle.
Il nous faut la débloquer, cette fichue porte. Et nous n’y
arriverons pas seuls !
Laissons le Père nous aider à donner le vigoureux coup d’épaule qui nous manque pour libérer l’accès à la venue de son Fils en nous, dans l’ombre et la lumière, la pesanteur et la grâce.
Oui, en cette marche de l’Avent, demandons au Père de nous préparer à la venue de son Fils, travaillons dans le quotidien de nos jours, en couple, en famille, dans nos engagements
sociaux et professionnels, au cœur des urgences auxquelles nous appelle la solidarité avec les plus pauvres, à ce que Son « nom soit sanctifié », à ce que Son « règne vienne », à ce que Sa « volonté soit faite sur la terre comme au ciel ».
Laissons-Le restaurer nos forces en veillant, comme un père tendre et vigilant, à ce que nous n’entrions pas « en tentation », celle qui consisterait à prétendre pouvoir nous passer de son aide et de sa lumière ;
à croire en un « salut sans Sauveur » !
Oui, contemplons-le ce père qu’Isaïe nous présente assis à son tour de potier sur lequel il pose la glèbe revêche de nos vies qu’il va, de ses mains douces et fermes, travailler, malaxer, pétrir pour en faire cette argile souple et docile avec laquelle il façonne déjà le vase sacré, la crèche de sa divine Présence…
Oui travaillons, en ce temps de l’Avent, à éclairer la nuit obscure de tant de vies essoufflées.
Travaillons à dévoiler l’étoile qui éclairera notre chemin vers celles et ceux qui n’ont plus d’espérance et qui trébuchent dans la nuit…
Noël, déjà, annonce Pâques, la frêle étoile dévoile déjà le grand feu pascal…
Travaillons, Frères et Soeurs, à faire du tissu de notre âme, une matière hautement inflammable !




27.11.22

Christian Bobin : À Noël, Un enfant vient nous rendre la vie impossible

 


CHRISTIAN BOBIN



L’écrivain et poète vient de mourir à 71 ans.  Au fil du temps, nous étions devenus amis. Depuis une conversation réalisée il y a bien des années dans le salon de la maison Gallimard. De rencontres en rencontres, nous ne parlions presque que de Dieu, non pas sous la forme d'une réponse mais toujours d'une question. Je me souviens de ce dialogue mémorable avec l'Abbé du monastère de  Ligugé à Poitiers, Dom Jean-Pierre Longeat. J'avais réussi à tirer hors de sa tanière l'ermite du Creusot. Bobin ne "savait" pas Dieu : il murmurait sa foi plus qu'il ne la proclamait. Je l'ai fait écrire souvent en toute liberté dans le journal de spiritualité que je dirigeais alors. Nous nous écrivions de temps à autre. À son écriture ample, je reconnaissais son amitié dès l'enveloppe ! Le poète va me manquer, comme il manque déjà à beaucoup. Il est de ces êtres qui font traverser la vie avec ce brin d'espérance lumineuse malgré l'épaisseur drue de nos nuits. Je garde le souvenir de son rire tonitruant et fraternel. Christian Bobin est mort. Ou plutôt il a traversé la vitre au travers de laquelle il contemplait la nature, la neige et les grands arbres. Peut-être aussi un petit coin d'éternité . Merci l'ami... 


Voici l'une de nos "conversations" que je suis heureux de vous offrir. On y parle de Noël !


Bertrand Révillion : « L'homme dont on parle quand on parle de mes livres n'existe pas »,   écrivez-vous…


Christian Bobin : Il n'y a pas une goutte de mes mots qui ne soit sortie de mes veines. Il n'y a pas une seule phrase qui ne soit sortie de ma vie. Il y a donc un  lien direct entre mon écriture et ma vie. Mais le nom d'une personne lorsqu'elle commence à être connue pour ce qu'elle fait-ce qui peut être le cas pour les écrivains- se « décolle » un peu de son être profond, comme une affiche se décolle du mur où on l’a posée. Et cette « affiche » connaît des avatars, une vie qui, le plus souvent, n’a que peu avoir avec l'existence réelle. Mes livres sont bien les miens, ils sortent bien de ma vie, mais ce que l’on colporte  sur moi, à partir d’eux, est souvent ou bien hâtif, souvent trop bienveillant ou, au contraire, trop malveillant pour que je me reconnaisse.


L’écriture cache l'écrivain davantage qu'elle ne le révèle ?


Bien au contraire, l'écriture révèle terriblement l'homme. Aucune écriture ne ment. Si un homme est en train de mentir, son écriture va très vite le révéler. Si les écrivains avaient davantage conscience de cela, je crois que la plupart arrêteraient d'écrire. Un homme se révèle, se dit immédiatement par son langage, quelles que soient ses ruses pour se cacher derrière ces mots.… Personnellement, je ne cherche pas à me cacher derrière mes livres. Je cherche au contraire à ce que mon écriture soit le plus possible transparente à la vie, en correspondance la plus claire, la plus vive avec la vie même.


Vous avouez que vous auriez « aimé passer votre vie à ne pas dire un mot ». Étrange paradoxe pour un écrivain !


Non, pas tant que cela. Il y a une économie de la phrase, il y a une manière de tourner ses mots et de les verser dans le petit vase d'argile de la page pour que, au bout du compte, on obtienne, non pas du bavardage mais un silence. Le silence, la pudeur, le calme sont parmi les plus belles choses qui nous parlent le plus de nous-mêmes. Je crois que le langage peut nous aider à faire éclore le vrai silence dont nous avons tellement besoin pour vivre.


Si vous n'êtes pas ce que l'on dit de vous, qui êtes-vous ?


Je crois que je suis quelqu'un qui a planté en lui un désir de vérité. Je suis quelqu'un qui essaye, à sa manière infirme, de s'approcher du plus de vérité possible dans ce monde. Je cherche ma vérité et celle de celui qui me fait face. Je suis, comme vous, comme chacun de nous, dans la forêt obscure de cette vie et j'essaye de m'approcher de la clairière. Parfois je m'en rapproche, parfois je m'en éloigne. Et il m'arrive souvent de me tromper. Je me trompe en toute bonne foi, je me trompe par honnêteté. Je marche après la vérité et souvent je m’égare. Mais je continue à marcher, car la vérité est pour moi le seul bien désirable.


Vous menez une existence singulière, très retiré du monde, vie presque d’ermite, de contemplatif solitaire… Mythe ou réalité ?


Il y a du vrai, mais, comme toujours, on exagère ! La réalité, c'est que je vis en province alors que la plupart des écrivains vivent à Paris. Mon refus de me mêler à la vie parisienne me rend un peu suspect. Alors on a tôt fait de me présenter effectivement comme une sorte d’ermite solitaire. Ma vie, en réalité, est plus simple qu'il n'y paraît. Comme tout le monde, j'ai une petite étoile de liens d'amitié autour de moi. Dans une vie, nous avons rarement auprès de nous plus de six ou sept personnes avec lesquelles nous tissons des liens d'amitié. Les disciples du Christ n'étaient pas plus de 12, ce qui est déjà beaucoup. La preuve, c'est que certains d'entre eux furent même défaillants! Les quelques liens d'amitié proches et vrais que la vie m'a donnés me suffisent.


Vous êtes donc plutôt un solitaire…


Disons que c'est un trait marquant de mon caractère, mais sans devenir l’ours asocial dont on me renvoie parfois l'image ! Il est vrai que je peux passer des journées entières totalement seul sans que cela ne soit douloureux.


Depuis "Le Très-Bas", votre livre consacré à François d'Assise, certains vous veulent ou vous espèrent chrétien. L’êtes-vous ?


Oui ! Je vous réponds nettement : « oui ! »


Aucune hésitation ?


Non. Je crois que je suis de plus en plus chrétien, ce qui veut dire que j'ai de plus en plus conscience de l'être de moins en moins ! Il est je crois, impossible d'être vraiment chrétien dans cette vie.


- Qu'est-ce qu'être « vraiment chrétien » ?

C'est ne céder jamais en rien au « monde », ne pas donner prise à l'envie, à la jalousie, à l'orgueil, à l'aisance, au confort si redoutable. C'est ne rien avoir pour soi. Je serais bien menteur si je vous disais que j'arrive à vivre, si peu que ce soit, un tel idéal. Je ne connais, en vérité, pas d'autres chrétiens que le Christ !


Y a-t-il un chemin pour devenir, jour après jour, un peu chrétien ?


Je le crois, oui. Il faut vivre chaque jour, chaque seconde avec la pensée que la mort va mettre sa main sur notre épaule, tôt ou tard, qu'elle peut le faire à tout instant. Cette pensée peut nous protéger du sérieux et du convenu de cette vie. Il suffit aussi de ne pas oublier une seule seconde que le « monde » est ce qui anéantit le faible, ce qui se réjouit de l'écrasement du faible. Bien avoir conscience que nous pouvons nourrir cette rage du « monde », entretenir cette bête monstrueuse qui veut nous tasser à ras de terre. Le « monde » avec sa force de destruction est autour de nous et en nous, et il nous faut la combattre.


Comment ?


- En prenant conscience que, sans nos masques sociaux, nous ne sommes rien. Parfois, la maladie, l'infidélité, la douleur physique et psychique viennent, comme des furies, nous rappeler cette vérité élémentaire que nous ne sommes pas ce que nous croyons être. Se souvenir de cela ne nous mène pas nécessairement d'emblée à la lumière mais nous permet, au moins, de ne pas trop nous enfoncer dans les ténèbres.

Vous vous dites « rescapé d'un effondrement »…


Vous voulez la vérité ? Je vais vous la dire et elle va peut-être surprendre de la part de quelqu'un comme moi : je trouve que la vie est très dure à vivre. Cette conviction est comme une flèche plantée au beau milieu de mon âme. C'est terriblement difficile de vivre. Pour moi, pour vous, pour tout le monde. La joie, la conscience, la liberté se paient au prix fort. Je vis depuis toujours avec ce sentiment que vivre est une entreprise extrêmement difficile, presque inhumaine. Habituellement, j’évoque peu cette conviction : par courtoisie, pour ne pas trop peser sur la vie des autres, pour ne pas « en rajouter » sur leurs propres difficultés de vivre.


Tenter d'être vraiment « vivant » est une souffrance…


Pour se sentir vraiment vivant, il faut avoir le courage de prendre conscience que nous sommes pris dans beaucoup de morts. Dès le départ de notre existence. Être vivant, ce n'est pas, paradoxalement, quelque chose qui nous est donné d'emblée. On peut, tout au plus, espérer le devenir à la fin de notre vie, quelques heures, quelques secondes avant de mourir. Et encore, rien n'est moins sûr… Au début de notre vie, nous ne sommes pas vivants, nous sommes comprimés, serrés, cernés de toute part par le « monde » qui n'aura de cesse de nous empêcher de vivre. Dès sa naissance, l'enfant voit tourner autour de son berceau une société du mensonge et de la posture, un monde qui, dès les premières secondes, va le persuader qu'on ne peut exister qu'aux dépens d’autrui. Les forces du monde qui nous poussent à l'écrasement de l'autre, au culte du moi, à la fascination de la séduction et de la puissance, son telles qu'il est difficile d'y résister.


Comment faire?


Nous n'avons pas d'autres solutions que d'essayer de naître une deuxième fois. Il faut une vie entière pour essayer de naître…


L'écriture vous aide-t-elle dans ce travail de renaissance ?


L’écriture est un chemin de réparation.


Que voulez-vous dire ?


La vie est terriblement abîmée ; encore plus depuis une trentaine d'années. Celui qui se met à sa table d'écriture, se met en état de bienveillance. Il tente d'apporter du bien à cette vie, aux autres et aussi à lui-même en tant qu'autre. L'écriture est peut-être une manière de porter assistance à la vie la plus faible. J'écris pour tout ce qui, dans une vie, est rejeté, considéré comme chose négligeable, tout ce qui est  laissé dans les ornières et les caniveaux de notre monde. Or, dans les caniveaux de notre société, on trouve des gens, de plus en plus de gens qui attendent simplement qu'on les regarde. Hier, profitant de mon passage à Paris, je suis allé faire des courses dans un grand magasin. J'ai été frappé par  la manière dont les étalages étaient faits. Il y avait là, sous les lumières, comme un prince sur son trône, des chaussures et des sacs. Valoriser comme des êtres vivants. En regardant ces vitrines de luxe, je me suis dit que nous étions vraiment entrés dans une société de l'objet roi, dans un monde où l'objet, et l'argent qu'il représente, sont désormais plus important que l'homme. L'écriture, c'est l'inverse. En écrivant, j'essaye d'enlever les chaussures et les sacs, tous les objets que l'on met aujourd'hui littéralement au devant de la scène et qui sont hors de prix, indécents. Par l'écriture, je veux remettre sous le regard de la vie ce qui, réellement, est hors de prix. Un visage, un geste de bonté, le souvenir d'une personne qui a apporté un peu de lumière et qui est aujourd'hui sous la terre… L'écriture est, à mes yeux, une « réparation », car il s'agit de remettre en ordre le monde, à ma toute petite place, avec mes pauvres moyens. Chacun, a je crois, à faire ce travail de remise en ordre du monde.


- Il faut le faire sans avoir la clef de compréhension de cette vie…

Qui peut prétendre l’avoir ? Ceux qui l’affirment font les malins ! Nous ne savons rien de nous-mêmes, nous ne savons rien de Dieu, nous ne savons pas ce que c'est que la mort, nous ne comprenons rien à cette histoire humaine dans laquelle nous sommes plongés… Nous sommes tous entraînés par le flux d'une existence qui est autant effrayante que miraculeuse, et il me semble que c'est à chacun de nous d'apporter sa modeste pierre à la réparation du monde. Nous avons à désencombrer le monde du « monde » pour qu'il advienne un peu de ciel.


Ce « ciel » que vous évoquez, nous est-il possible de l'entrevoir ?


Nous sommes comme des hommes et des femmes pris sous les décombres d'un effondrement. Le ciel spirituel, le ciel du cœur nous est aussi difficile à entrevoir que le ciel matériel, physique qui se cache au regard des rescapés d'un effondrement. Nous avons une toute petite chance, au cours de notre vie, d'entrevoir ce ciel spirituel. À une condition : désencombrer notre existence de tout ce qui ne lui est pas essentiel.


À lire vos livres les plus récents, on a le sentiment que pour désencombrer notre vie, il nous faut passer par une porte paradoxale, celle des cimetières…


Léon Bloy, dont j'aime la fureur, dit que les cimetières sont le « paradis sur terre » ! Voilà une étrange vérité affirmée rapidement. Mais si nous mettons un peu de lenteur dans la lecture de cette phrase, nous pouvons peut-être entrevoir une vérité essentielle. Ce que j'aime dans les cimetières, c'est d'abord un silence qu'on n’atteint pratiquement plus jamais ailleurs. Où que nous allions désormais, nous sommes pris, oppressés par des gens que nous n'avons pas choisis, par des musiques qui ne sont pas de notre goût et dont nous ne pouvons pas nous défaire. Dans les cimetières, je retrouve le grand silence de la nature. Et, dans ce grand silence, le mensonge n'est plus possible. Un nom sur une pierre et, deux mètres en dessous, la poussière de quelques os. Face à ces dalles, il n'est pas possible d'être en proie à des soucis minuscules. Au fur et à mesure que je chemine parmi les tombes, les préoccupations superficielles de la vie, les appétits de toutes sortes, les fringales de reconnaissance sociale ne peuvent que tomber. Je crois qu'il y a quelque chose de très vivifiant à fréquenter les cimetières. Notre vie n'a qu'un temps : qu’allons-nous en faire ? Allons-nous essayer d'apporter à ce monde, lors de notre passage, un peu de bonté ?


Le cimetière est un lieu de…résurrection ?


 - Ce mot n'est plus écrit nulle part dans notre monde, sauf peut-être encore sur quelques tombes qui ressemblent à des livres dans lesquels seraient écrit une vérité oubliée. La résurrection renvoie à ce qui se passe peut-être après notre vie terrestre. Mais elle concerne aussi notre existence actuelle qu'il convient de « ressusciter », c'est-à-dire, littéralement, de réveiller. Prenons garde à ce que notre vie ne se passe pas dans un long engourdissement…


Vous évoquez vos visites sur la tombe de votre père. L'occasion d'affirmer que ceux qui nous ont quittés sont encore là, mystérieusement présents à nos côtés.


Je me demande parfois si les morts ne sont pas en train de nous jouer un drôle de tour! Ils nous entourent de leur présence invisible et douce. Je ne crois pas que la question de la mort soit définitivement réglée une fois qu'on a jeté quelques pelletées de terre sur un corps inerte. Je ne crois pas que la vie finisse là. Certains morts sont beaucoup plus présents que nombre de soi-disant vivants.


Expliquez-moi cela !


Je crois que les morts tombent amoureux. Lorsque nous tombons vraiment amoureux nous disparaissons pour notre entourage, nous n'existons plus que pour notre amour, notre cœur et nos pensées sont comme aimantés par celui ou celle que nous aimons. Les morts sont tellement épris de l'amour total, absolu qu'ils connaissent enfin, qu'ils s'absentent de cette terre. Les amoureux ont le visage transfiguré par la paix qu'il découvre. Je crois que, pour les morts, il se passe la même chose étonnante est belle.


 Cette paix, cette sérénité, vous semblez vous-même mieux vous en approcher. Ce dernier livre, que vous intitulez fort justement Ressusciter,  révèle comme une sortie progressive d'un long deuil. Je me trompe ?


Non, c'est exact. Mon écriture ressemble à ma vie et ma vie est, d'une certaine manière, plus joyeuse aujourd'hui. Le deuil peut avoir plusieurs visages : il y a la douleur née de l'arrachement de mon vivant de quelques êtres profondément aimés. Il y a aussi le deuil de quelques illusions et le sentiment de marcher vers davantage de clarté. Je me suis peut-être un peu engourdi et je commence à goûter la joie extrême de l’éveil.


De quelles illusions portez-vous le deuil ?


Je ne crois pas pouvoir répondre à cette question. Peut-être puis-je simplement reconnaître que j'ai aujourd'hui moins de certitudes. Je sais de moins en moins de choses sur le mystère de cette vie. Je marche de plus en plus comme un aveugle dans une maison dont on aurait changé tous les meubles. Mais je sais peut-être mieux que cette existence n'est pas vaine. Je comprends de moins en moins de choses et je me réjouis de plus en plus.


Pour « s’éveiller », ressusciter, il faut commencer par accepter sa propre faiblesse…


Les hommes et les femmes se couvrent d'une quantité inimaginable de vêtements sociaux jusqu'à disparaître entièrement dessous. C'est un moyen illusoire qu'ils se donnent pour se rendre forts. Il faut du temps pour s'apercevoir que c'est notre faiblesse avouée, notre nudité qui nous rend beau aux yeux des autres. Nous avons peur d'avouer notre faiblesse alors qu'elle est aussi notre grandeur.


Se reconnaître faible, c'est se donner-enfin !- le moyen de devenir bon ?


Pour être bon, il faut découvrir que nous ne serons pas détruits si nous sommes sans défense. Voilà une vérité terriblement compliquée à comprendre, tellement compliquée pour notre pauvre cœur humain qu'il a fallu que Dieu nous envoie son fils pour que notre maigre intelligence commence à s'ouvrir. La bonté du Christ, la bonté que nous surprenons derrière le visage des hommes et des femmes que, parfois, nous côtoyons, est comme une preuve, très indirecte, de l'existence de Dieu. Sur cette terre, nous n'aurons pas d'autres « preuves ». La bonté est surnaturelle, car il y a quelque chose de surnaturel à exister humainement. La bonté n'est pas évidente pour l'homme. Elle ne peut que lui être donnée de façon surnaturelle. La seule évidence des êtres humains, c'est leur irrépressible propension à se battre comme chiens et loups.


Vous dites que le chemin vers la bonté passe par davantage de présence à soi.


Notre monde nous pousse à vivre hors de nous-mêmes. Nous sommes sans cesse distraits, sollicités par la futilité du monde. Il nous faut donc, effectivement, trouver la voie qui nous mène à une véritable présence à soi. Mais attention : si je me rends présent à moi-même, je risque de me rendre présent au néant, car je ne suis pas grand-chose ! La présence à soi doit, paradoxalement, naître de la présence à l'autre si je me rends parfaitement attentif à l'autre qui me fait face, alors j'ai quelques chances de me rendre présent à moi-même. Pour m'approcher de moi-même, de ce qui fait ma vérité, il me faut absolument ne pas chercher mon intérêt, m'oublier pour me trouver… Il me faut laisser l'autre s'approcher de moi avec la nouvelle incroyable de son existence.


Vous parlez assez peu de Noël…


J'éprouve un peu de méfiance vis-à-vis d'un imaginaire un peu trop chaleureux, romantique, « sucré ». Noël n'est pas qu'une belle histoire, un joli rêve. Si on écarte un peu l'imagerie d'Épinal et le fatras des cadeaux et du commerce, que voit-on ? Le plus faible parmi les faibles : un nouveau-né qui va devenir notre maître. C'est merveilleux mais c'est aussi tragique, car cet être faible et totalement désarmé va être massacré. Il nous faut ne jamais oublier que celui sur le berceau duquel nous nous penchons est aussi celui que nous allons détruire. La belle nudité de l’enfant Jésus ne doit pas nous cacher l'abject nudité du Christ expirant sur la croix. Une croix qui jette déjà son ombre sur la crèche… Méfions-nous d'une image trop jolie de Noël. La femme qui berce son enfant le soir de Noël le verra mourir, crucifié, quelques années plus tard.


L'extrême faiblesse du nouveau-né annonce l'absolue faiblesse d'un Dieu dont l'amour pour les hommes ira jusqu'à laisser mourir son propre fils…


À Noël, je vois venir à ma rencontre un faible nouveau-né qui, déjà, est mon maître. Un enfant qui va me donner à manger comme on donne à manger à un nourrisson. Un enfant qui va m'apprendre des vérités élémentaires et pourtant tellement essentielles. Il va m'apprendre que, d'un côté, il y a les stratégies, les calculs, la force, la puissance, l'argent, la jalousie. Et que, de l'autre côté, il y a l’attention à l'autre, l'oubli de soi, le don, l'ouverture, la beauté. Cet enfant va me faire prendre conscience qu'à chaque pas, qu'à chaque mot, qu'à chaque geste, j'ai à choisir entre deux chemins, celui du monde ou celui de la vie. Cet enfant, en fait, ne vient pas pour éclairer le monde mais pour le détruire : c'est le « monde » qui nous empêche de voir la lumière. À Noël arrive un enfant qui va nous rendre la vie impossible, mais, sans cet impossible, il n'y a rien.


(c) Bertrand Révillion



15.1.22


La colère de l'archange




Découvrez mon nouveau roman 

Dès le 20 janvier, chez votre libraire...

Voici la présentation qui en est faite au dos du livre :
"Les coups de sonnette résonnèrent dans le presbytère. Surpris – il était tout juste 7 heures –, le vieux prêtre alla ouvrir en trottinant dans ses pantoufles avachies. Le gendarme ne s’embarrassa pas de salutations. Lorsque le métal froid des menottes se referma sur ses poignets, ce fut l’électrochoc."
Alors qu’il vient de fêter son départ en retraite, le père Antoine, curé d’une paroisse proche du Mont-Saint-Michel, est placé en garde à vue. Lorsque l’affaire éclate, c’est la sidération. Auteur de livres à succès, ami des artistes et des célébrités, prêtre fort en gueule, celui que les médias surnomment Padre Tonio est une figure de l’Église de France.
En ouvrant le journal, l’archevêque de Rennes, son ami avec qui il a partagé enfance, séminaire et ordination et participé au grand chambardement de l’après-Concile, est atterré. « Non, pas lui ! Pas des enfants ! »
Les yeux rivés sur l’archange censé terrasser le dragon au sommet du saint Mont, Monseigneur de Haucourt s’interroge: si Dieu est Dieu, comment est-il possible que ceux-là même qu’il a appelés pour annoncer au monde sa lumière, aient pu, si longtemps protégés par les silences de l’Église, s’en prendre à des enfants ?
Alors que s’accumulent les révélations sordides, c’est la tragique énigme du mal et la fragile possibilité de croire malgré la nuit que Bertrand Révillion évoque dans ce roman.

Journaliste et éditeur, Bertrand Révillion a dirigé le mensuel Panorama et collaboré à La Croix, La Vie, Ouest France, France 2, Psychologies Magazine...

9.1.22

LES SAINTS "EMMERDEURS"

Méditions à propos du baptême de Jésus (C)


Ce dimanche 9 janvier, l’Évangile nous donne à réentendre le récit du baptême de Jésus par son cousin, Jean, dit « le baptiste », dont Elisabeth, sa mère, mariée au prêtre Zacharie, est une parente de Marie. 

Jean est un solitaire retiré dans le désert qui cherche à retrouver une voie spirituelle authentique, loin des dévoiements de la religion officielle à qui il reproche de s’être « installée », renonçant à cet appel au déplacement, à la marche - à « l’exode » dirait Sulivan - dont tous les grands prophètes du Premier Testament se sont fait l’écho. 

Cette « intranquilité » qui taraude  le coeur des chercheurs de Dieu a peu à peu laissé place au petit confort peinard d’une religion qui « sait » et qui distraitement récite, sans plus trop savoir ce qu’elle répète, infidèle à cette foi qui cherche et qui, de nuit, tâtonne, et tente d’entendre cette « brise légère » - cette « voie de fin silence (Lévinas) - décrite par le prophète Elie. 

Le peuple des marcheurs, celui qui a traversé le désert en quête de liberté intérieure et de soif spirituelle a peu à peu cédé place à la dormante congrégation des gens « assis » au premier rang desquels les clercs sont devenus ces « fonctionnaires du culte », ces « notables de la religion» engoncés dans leurs lourdes parures liturgiques et leurs petits arrangements avec l’absolu radicalité de la foi et l’urgence de la conversion.

Jean est… - puisque le mot bénéficie ces-jours-ci d’une certaine notoriété - un emm… ! Les prophètes sont toujours des emm… qui empêchent la religion de tourner en rond, qui houspillent l’ordre établi, qui éructent contre les pouvoirs, les sinécures cléricales, les incohérences entre la parole et les actes. « Ils disent mais ne font pas… » 

Oui les prophètes sont de saints emm… qui renversent les puissants de leur trône » et engueulent ceux qui « chargent les hommes de fardeaux difficiles à porter, et qui ne les touchent pas eux-mêmes d'un doigt. »

Jean est un homme en colère - peut être a-t-il appartenu au mouvement radical et contestataire des Esséniens ? - et son cri rejoint la quête de sens de ses contemporains qui, de plus en plus nombreux, viennent entendre, en lisière du désert, sur les bords du Jourdain, l’appel du dernier grand prophète de la Bible à libérer la foi de la religion, à « briser les idoles d’argile », à oser le dépouillement et la plongée dans les eaux qui lavent, purifient  et convoquent à « passer sur l’autre rive », à se remettre en route vers le grand libérateur, ce Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob… Ce Dieu de Jésus Christ qui ouvre la voie au paradoxal bonheur des Béatitudes : « Heureux ceux qui pleurent… » « Joie, joie, joie, pleurs de joie » écrira Pascal…

Jean est un ouvreur de porte. Il fait pivoter sur ses gonds l’étroit vantail qui ouvre le passage entre le Premier et le Second Testament. Lorsqu’il voit s’approcher Jésus et attendre son tour dans la longue file des candidats au baptême, il commence par ne pas comprendre. Car pourquoi donc Jésus devrait-il se faire baptiser ? N’est-ce pas l’inverse qui devrait se produire, Jean baptisé par Jésus ? 

Jean hésite. Puis finit par deviner… 

Comme Elisabeth, sa mère, accueillant sa cousine Marie, enceinte, a ressenti en elle des tressaillements de joie, il reconnait soudain derrière le visage de son cousin, la saint Face du Messie attendu, « Celui qui doit venir », celui dont il n’est pas digne de dénouer la courroie de ses  sandales, celui devant lequel il lui revient de s’effacer.

Surprenante scène où, face aux hésitations du baptise, Jésus ne se laisse pas détourner. 

En entrant dans l’eau du Jourdain, il rejoint l’humanité jusque dans ses blessures et faiblesses. Il accepte de plonger dans les eaux boueuses qui, souvent, tel un déluge, viennent submerger notre condition humaine marquée par le tragique.

Il confirme ainsi sa totale incarnation commencée à Noël dans l’étable de notre humanité, à raz de paille… Une condition humaine dans laquelle il plongera jusqu’à son agonie sur la croix…

Le moine trappiste André Louf ose une image percutante. Il dit qu’en traversant les eaux troubles de l’humanité symbolisées par le Jourdain, Jésus « contamine » l’eau glaiseuse du baptême humain et la transforme, la « converti » en cette eau limpide du baptême dans l’Esprit. Ce faisant, il scelle la Nouvelle Alliance et fait pivoter la charnière entre le premier et le second Testament. 

Et voici que la colombe de Noé reprend du service, celle qu’il avait envoyée en « éclaireur » depuis l’arche afin de vérifier que le déluge était bien terminé… Voici que cette colombe revient à l’orée du Nouveau Testament, et annonce, d’un coup d’ailes, le reflux des eaux noires de la mort  et le printemps des sources de la grâce… 

Alors, le ciel qui était fermé, verrouillé s’ouvre soudain : la Parole circule à nouveau entre l’en-haut et l’en-bas. Ruisselant des eaux de son propre baptême, le Christ nous tire de nos abysses pour mieux nous replonger au coeur de cette humanité blessée où il nous appelle à être, à ses côtés, des « ouvreurs de ciel ». 

27.2.21

Le sacrifice interdit

 



Méditation pour le second dimanche de Carême (27 février 2021 Année B)


En ce deuxième dimanche de Carême, la liturgie nous propose comme première lecture le saisissant récit du « Sacrifice d’Isaac », texte mystérieux, violent et surtout terriblement choquant !

 


Ce n’est sans doute pas un hasard si cet épisode de la Genèse (Gn 22) a inspiré de nombreux peintres. Je songe au tableau du Caravage exposé à Florence, à la galerie des Offices.


Isaac, sous le pinceau du célèbre peintre, a la bouche déformée par la terreur, on l’entend presque hurler. Son visage est déchiré par l’incrédulité la plus totale. Ce père en qui il a mis toute sa confiance s’apprête à le trahir de la façon la plus épouvantable.


Le Caravage nous représente Abraham halluciné. Tandis qu’il approche le couteau de la gorge de son fils, il détourne le regard. Comme s’il ne voulait pas, comme si il ne pouvait pas voir l’horreur qu’il s’apprête à commettre « au nom de Dieu » !


Sans doute doit-il ce détournement, cette conversion du regard à l’ange, cet envoyé mystérieux du Très Haut qui l’appelle et tente de le sortir du cercle noir de sa folie. 


Un ange qui, contrairement à ce qu’écrit le récit biblique n’interpelle pas Abraham « du haut du ciel » mais, sous le pinceau  du Caravage, le rejoint au plus près, au plus proche, au plus bas dans son humanité pour tenter de l’arrêter (l’ange pose la main sur le bras meurtrier d’Abraham) et de le sauver de sa folie.


Car, oui, il s’agit bien d’une folie. Si Dieu est Dieu, s’il est la source de l’amour, il ne peut pas avoir donné cet ordre abjecte à Abraham :


« Prends ton fils, ton fils unique,(il insiste !) celui que tu aimes, (il insiste lourdement !) , et tu l’offriras en sacrifice sur la montagne que je t’indiquerai. » 


Non, Dieu n’a pas dit cela. Ou alors c’est un Dieu pervers ! 


Si Dieu est Dieu, la seule injonction qu’il a pu formuler ce jour-là sur la montagne, la seule qu’Abraham a pu « entendre » ne peut être que cet « inter-dit », cette parole murmurée « entre » Dieu et l’homme : « Ne porte pas la main sur l’enfant ! »


Les sacrifices humains existaient sans doute encore à l’époque chez certains peuples du bassin méditerranéen. Il y avait cette conviction obscure qu’il est possible d’apaiser le « courroux » divin par un bain de sang…


Chez les juifs, cependant, le refus de tels sacrifices est une constante clairement affirmée par plusieurs prophètes. 

Jérémie notamment, fait dire à Dieu : « Cela, je ne l’ai jamais demandé et je n’ai jamais eu l’idée de faire commettre de telles horreurs. »


C’est justement pour interdire cette folie que le récit du sacrifice d’Isaac nous est proposé. La seule chose finalement que « tranche » le couteau d’Abraham dans cette dramatique métaphore biblique, c’est la fausse conception que l’homme se fait de Dieu. 


Il faudra un long discernement que symbolise cette lente marche purificatrice vers la montagne, pour que le cœur d’Abraham torde le cou à la fausse conception qu’il se fait de Dieu.

  

Comme il a fallu la lente histoire de la Révélation pour que s’éclaire progressivement le visage d’un Dieu enfin purifié de tant de projections humaines.


Lente purification que chacune et chacun d’entre nous est amené à faire dans son propre itinéraire de foi pour débarrasser Dieu de ces  fausses images dont nous l’affublons si souvent.


Ainsi donc, le saisissant récit de ce qu’il faudrait plus justement appeler le « sacrifice interdit », nous donne une indication précieuse pour notre marche de Carême : Dieu ne nous demande pas de sacrifier notre bonheur ! 


Et il ne nous envoie pas la souffrance pour prétendument nous éprouver. Notre condition humaine nous amène déjà suffisamment son lot de douleurs et de blessures sans qu’il soit besoin d’en rajouter !


« La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant » clamait saint Irénée. Le Carême n’est donc pas un temps de tristesse mais de joie. Cette joie imprenable qui nous est promise au matin de Pâques ! 


Oui, chers amis, la voilà la bonne nouvelle : le Carême est, non pas un temps d’affliction pendant lequel il nous faudrait « trancher » douloureusement dans notre bonheur  mais une libération, une sortie progressive des ornières de la culpabilité dans lesquelles nous pataugeons si souvent.


Une lente purification où, dans l’opacité de nos jours, nous chercherons à ce que s’éclaire peu à peu le vrai visage de Dieu, un visage débarrassé de tout les masques dont nous l’affublons, ce visage transfiguré du Christ qu’ont soudain « vu » les disciples  sur une autre montagne - évoquée dans l’évangile de ce second dimanche de Carême (Mc 9,2-10) -  où il n’était plus question de sacrifice mais de joie !


Alors, oui, chers amis, l’une des tâches à laquelle nous invite le Carême, consiste à « briser les idoles d’argile», toutes ces fausses images de Dieu qui font écran entre lui et nous  et nous empêchent de voir sa divine transfiguration.


Le philosophe Gustave Thibon le dit à sa manière, fulgurante : 

« Il nous faut marcher vers Dieu, de ruines en ruines, à travers les éboulements successifs des fausses images que nous nous faisons de Lui ». 


Bonne marche de Carême chers amis !


(c) Bertrand Révillion