23.12.16

MÉDITATION POUR LE SOIR DE NOËL

24 décembre 2016 Année A

C’est une jolie crèche peuplée de jolis santons de Provence, délicatement peints à la main.
Une jolie crèche qu’on se transmet de génération en génération…

Rien ne manque. Il y a le bœuf et l’âne, les moutons, la paille, la mangeoire drapée de foin, et là-haut dans son ciel, l’étoile tremblotante qui, comme un phare, veille.

Ils sont tous là les santons : les petits, les grands, les neufs, les craquelés, les rafistolés; tous modelés dans cette chaude terre rouge provençale. Ils s’approchent, dans la nuit noire de décembre, aimantés par les premiers sourires de ce mystérieux nouveau-né.

Il y a Joseph qui s’agite et s’inquiète pour sa femme et le petit qui, tous deux, risquent de prendre froid.

Il grogne dans sa barbe Joseph contre ce fichu aubergiste qui n’a pas voulu les laisser entrer, et leur trouver une petite place au chaud.
Il s’est méfié l’aubergiste : qui était donc ces réfugiés ? D’où venaient-ils ? Avaient-ils seulement des papiers en règle ? Partageaient-ils la même religion ?  Et si la police débarquait, ne serait-il pas  lui-même jugé complice de leur avoir accordé le droit d’asile ? Alors, confondant prudence et trouille, il a fermé sa porte, l’aubergiste. A l’heure qu’il est, il regarde « Plus belle la vie », à la télé, ou il dort déjà, sous la couette duveteuse de son indifférence, bien au chaud. Peinard l’aubergiste !

Il y a les bergers un peu en retrait, hirsutes dans leurs grandes capes noires qui ne sentent pas vraiment la rose. On ne les aime pas beaucoup, les bergers. Ils ont mauvaise réputation, un peu voleurs, un peu picoleurs, un peu louches. Des marginaux sans domicile fixe. Les braves gens - qui n’aiment pas que l’on suive une autre route qu’eux -  s’en méfient. Mais Joseph leur sourit. Alors ils osent timidement s’approcher.
Qui aurait dit que les premiers  visiteurs en cette sainte nuit de la Nativité ce seraient eux, les déclassés, les refoulés, les bafoués ? 

Près de la porte de la grange, il y a cet homme courbé, la cinquantaine, qui roule sa casquette dans ses mains et qui rase un peu les murs, gêné : depuis 3 ans qu’il pointe à « Pole Emploi », il a les poches vides : même pas de quoi acheter un cadeau au petit. C’est au tour de Marie de lui sourire, alors il s’enhardit et vient s’agenouiller, près d’elle et de l’enfant.
Comme eux, sur la paille !

Il y a cette jeune femme qui sort de l’hôpital, la tête enturbannée dans un foulard. Elle regarde, émue et attendrie, Marie donner le sein au petit.

Il y a le grand-père blagueur et, perché sur ses épaules, son petit-fils qui se mare en lui chatouillant les oreilles.

Il y a le jeune couple d’amoureux, qui se tient par le cœur et qui rêvent déjà à ce mariage radieux, annoncé pour juillet.

Il y a la « famille catholique ». Ah, la famille catholique, ses 5 enfants élevés dans les meilleures écoles, tous biens sages à la messe le dimanche. Elle fait un peu envie, la famille catholique prétendument idéale ! Elle la ramène même parfois un peu, la famille « bien comme il faut ». Mais souvent, elle donne le change, et cache derrière ses volets clos, petits tracas ou grandes blessures… Comme tout le monde !

Il y a, un peu dans l’ombre, cette autre femme qui tient la main à sa propre solitude : un méchant divorce dont elle peine à se relever. Mais, ce soir, dans le chaos de sa vie bouleversée, elle a l’intuition que la douce lumière qui émane de la crèche brille pour elle.
Oui, elle en est sûre, « le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière ; sur les habitants du pays de l’ombre, une lumière a resplendi » !

Ils sont tous là, les assoiffés de lumière : le SDF frigorifié, le cadre tout juste sorti du bureau qui desserre sa cravate, l’étudiant encore groggy par la surchauffe des partiels, la prostituée, le sans-papier, le jeune handicapé dans son fauteuil, le reporter de retour de l’enfer d’Alep, le taulard en permission d’espérance…

Au premier rang,  il y a les enfants rieurs et complices, qui ouvrent leurs grands yeux et n’en loupent pas une miette. Ils sont ébahis les enfants…
C’est si simple Noël lorsqu’on l’accueille avec un cœur d’enfant !

Planqués derrière une botte de foin, il y a aussi quelques jeunes un peu distraits. La célébration de Noël, ce n’est pas trop leur truc. Il y a bien longtemps qu’ils ne vont plus à la messe. Mais, ce soir, ils sont venus pour faire plaisir aux parents : c’est Noël tout de même !
Même s’ils ne le montrent pas trop, certains parmi eux sont secrètement touchés par la lumineuse fragilité de ce petit dont, depuis des siècles et des siècles, les croyants du monde entier disent qu’il serait le propre fils de Dieu. Tant de gens à y croire, et depuis si longtemps… à cette incroyable nouvelle !

Un Dieu qui se fait homme, un Tout Puissant qui, loin des images hautaines et sévères dont on l’affuble, vient naître, nu et fragile, dans les bras tendres d’une femme.

Un Très-Haut qui choisit de se faire Très-Bas, tout proche, tout aimant !
Un Dieu qui vient semer sa tendresse en pleine glèbe humaine.

Alors, parmi les santons, surgit une lancinante question : Et si c’était vrai ?

Et si Noël était bien plus qu’une jolie histoire emmaillotée dans un gentil folklore empli de guirlandes multicolores ?

Et si Dieu avait pris, depuis le premier Noël de l’histoire, vraiment la décision de venir naître parmi nous pour nous aider, chacune et chacun, à naître à notre propre vie, marchant à nos côtés vers notre propre joie ?

Et si l’ange de la Bible, l’envoyé du ciel avait dit vrai : « Ne craignez pas car voici que je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tous. »

Oui, et si tout cela était vrai ?
Et si Dieu, l’immense auteur du livre de la vie, le créateur du ciel et de la terre, de la mer, des montagnes, des arbres et des fleurs, du soleil et de la lune, de l’homme et de la femme était  réellement venu naître parmi nous, pour nous mettre au monde de sa joie ?

Regardons-le, blotti entre Marie et Joseph, ce minuscule santon d’argile qui nous tend les bras, au beau milieu de la crèche brinquebalante de notre propre vie.

Oui, contemplons cet enfant venu donner souffle à notre rugueuse glaise humaine et se faire icône, présence aimante, Fils d’un Dieu éperdu d’amour et de tendresse.

Même s’il ne parle pas encore, déjà Jésus murmure à l’oreille de notre cœur : « N’aie pas peur, je suis à tes côtés, tu peux t’appuyer sur moi, je t’offre bien plus que l’or, l’encens et la myrrhe. Je t’offre l’espérance… »

Même s’il est encore petit, ce Fils de Dieu déjà est fort qui vient remettre le monde et nos cœurs à l’endroit.


Un Dieu qui disperse les superbes.
Un Dieu qui renverse les puissants de leur trône.
Un Dieu qui élève les humbles.
Un Dieu qui comble de bien les affamés.
Un Dieu qui renvoie les riches les mains vides.

Un Dieu de bonté qui a besoin de nous, de nos mains et de notre propre bonté pour consoler, nourrir, loger, aider, pardonner, relever. Tout simplement aimer ! Car Dieu, c’est l’autre nom de l’amour…

Regardons-la bien, cette douce lumière de la crèche : c’est une flamme fragile, et pourtant déjà la promesse d’un feu ardent qui couve et ne demande qu’à grandir, en vous, en moi, en nous, pour réchauffer toutes les nuits glaciales de nos frères et de nos sœurs en humanité.

Vivre Noël, c’est croire que Dieu nous appelle à la joie imprenable. Celle du don, de la réconciliation, de la paix et de la miséricorde.  

Alors laissons la joie du Christ qui nait venir réchauffer nos cœurs d’argile.
Laissons le Dieu santonnier venir nous modeler l’âme.

Voici Noël qui trace son improbable voie au cœur de nos ténèbres,
Noël en nous, Noël autour de nous, Noël malgré tout.

Noël qui nait si nous le laissons naître…

(c) Bertrand Révillion