Méditation pour le dimanche 14 septembre 2014
L’Église catholique fête
aujourd’hui « la Croix glorieuse ».
Étrange choc des mots !
C’est un peu comme si on
disait « la guillotine glorieuse »,
ou encore « le peloton d’exécution glorieux »…
Comment donc pouvons nous
nous retrouver à faire la fête autour de l’un des plus abjects instrument de
torture ?
En quoi le gibet du supplice
peut-il être « glorieux » ?
Oui, c’est -
lorsqu’on prend un peu de recul et qu’on y songe vraiment - un bien étrange
signe de ralliement que les chrétiens se sont choisis !
Tardivement d’ailleurs,
notons-le, car les premiers disciples lui préfèrent le signe du pain et des
poissons, comme en témoignent certaines mosaïques anciennes…
Mais que veut dire ce choix
de la croix comme signe de la foi chrétienne ?
Avons-nous à honorer
l’instrument infâme par lequel le sang d’une victime sacrificielle innocente fut
versé pour le rachat d’une faute originelle dont nous porterions, toutes et
tous, le poids ?
Le rachat de nos fautes
doit-il se faire dans un bain de sang ?
Le christianisme peut-il se
résumer à un immense sacrifice, n’échappant pas aux traditions ancestrales les
plus païennes ?
Parfois, dans son histoire
chaotique, l’Église a exalté la croix. C’était – et cela reste – une façon
forte de faire mémoire du don total du Christ. Une manière de nous rappeler que
la foi est aussi à certaines heures un chemin rude et exigeant de dépouillement
et d’abandon.
Mais, cette exaltation de la
croix fut parfois tellement prégnante que cela en devenait louche !
Dans chaque pièce, les
crucifix rivalisaient de laideur sanguinolente pour nous rappeler que le Fils
de Dieu souffrait pour nous, mourrait à cause de nous, que c’était « notre
faute, notre très grande faute » s’il y était cloué, que nous étions
responsables de son éternelle agonie…
Toutes les religions savent
user de la culpabilité pour asservir leurs troupeaux et le christianisme n’y a
pas toujours échappé.
Comme si la souffrance en
elle-même était une « bienheureuse épreuve » que Dieu nous envoie
pour mieux nous éprouver.
Comme si la souffrance brutale
et aveugle pouvait être d’emblée rédemptrice !
Il faut tout un chemin
spirituel souvent rude et long pour trouver un peu de sens et de lumière au
cœur de l’absurde…
A trop chercher à vouloir à
tout prix expliquer l’inexplicable on s’embourbe dans des fadaises prétendument
« spirituelles » qui n’ont plus grand chose à voir avec l’Évangile !
Non, Dieu
n’est pas un Dieu pervers qui, volontairement, nous assomme d’épreuves et de
croix à porter pour mieux nous rapprocher de lui.
La vie se charge déjà
suffisamment de nous blesser pour que Dieu ne rajoute pas de sel dans les
plaies pour notre « édification » !
Alors, comment cette croix que nous fêtons aujourd’hui est-elle glorieuse ?
Eh bien, parce que c’est un
bois nu.
Parce que c’est un bois nu où
Dieu n’est plus !
La gloire de la Croix, c’est
qu’elle est vide !
Vide comme le tombeau du
matin de Pâques.
Lorsque nous regardons les
croix où le Christ agonise, nous les regardons avec le regard de la foi, avec cette
espérance rivée au cœur que bientôt, que déjà le Christ n’y est plus.
La croix est glorieuse parce que Dieu l’a désertée
pour venir habiter à la seule adresse où il souhaite désormais vivre : au
cœur de notre humanité dont il vient prendre sur son épaule forte et secourable
le fardeau des jours gris.
Depuis le grand matin de
Pâques, il vient au cœur de toutes nos détresses, de toutes nos fragilités et
pauvretés pour mieux nous relever.
Et sa croix, alors, est une
planche de salut, le bois où agripper nos vies quand la tempête risque de nous
submerger.
J’ai eu, par
mon métier de journaliste, la grâce de rencontres fortes et amicales avec Sœur
Emmanuelle. Lorsque, à la fin de sa vie, je me rendais dans la petite chambre
de sa maison de retraite près de Nice, mon regard était toujours attiré par une
croix au-dessus de son lit.
Une croix magnifique dont un
antiquaire n’aurait pourtant pas donné trois sous !
Un chiffonnier de la décharge
d’ordure du Caire l’avait fabriquée avec deux vieux morceaux de cageot, une
ficelle douteuse et un fil de fer rouillé symbolisant le corps du Christ.
Croix façonnée de tous les
rejets de l’humanité, croix de l’injustice, de l’exclusion, de la pauvreté, de
la maladie, de la solitude, du désamour…
Croix fragile mais croix, ô
combien « glorieuse » !