26.11.11

L'Eglise n'est pas un "Fast Food" !

Homélie du 1er dimanche de l’Avent (B)


Nous vivons, Frères et Sœurs, des temps de frénésies :
Voici que nos heures se font courtes à force d’être gavées d’activités fébriles.

Curieux paradoxe d’une époque prétendument « moderne » où la réussite humaine se juge à l’aune de notre indisponibilité chronique et au débordement compulsif de nos agendas…

Comme si le seul moyen de nous sentir exister
consistait à ne pas avoir le temps de vivre !

Comme si nos essoufflements, notre course quotidienne,
notre « zapping » permanent étaient la preuve sociale
de notre compétence !

Le stress comme une « légion d’honneur » !

Nous vivons – vous le savez bien, Frères et Sœurs – au triste siècle d’Antigone : « je veux tout, et tout de suite, et je ne supporte pas d’attendre… »

Rêve chimérique de voir se briser au plus vite, entre nos doigts, le goulot de verre du sablier du temps :

voici qu’il nous faut du « haut débit », des téléphones bientôt greffés directement sur le coeur pour pouvoir répondre tout de suite, « en temps réel » dit une bien curieuse expression,
comme si le temps de l’attente était un temps moins réel, moins vrai !
Les lectures de ce premier dimanche de l’Avent viennent, salutairement, nous rappeler quelques vérités.

On pourrait résumer ces lectures d’une formule choc, un peu iconoclaste :

« L’Eglise n’est pas un « fast-food » » !

Non ! La vie spirituelle ne peut certainement pas se nourrir aux comptoirs de « restauration rapide » ! Les « super maxi best off » n’existent pas dans le domaine de la vie spirituelle !

On pourrait même dire que la vraie nourriture spirituelle n’est pas celle qui comble notre « faim », mais bien au contraire, celle qui l’attise et la creuse.

Si nous venons à l’eucharistie, ce n’est pas pour être « repus » mais, paradoxalement, pour repartir avec une faim encore plus grande…

Le grand message de l’Avent, qui vaut pour toute la vie chrétienne, l’évangéliste Marc, nous le rappelle d’un mot : « Veillez » !

Oui, il nous faut veiller, Frères et Sœurs, c’est à dire, retrouver le sens de l’attente !

Oui, vivre l’Avent,
c’est oser vivre enfin le temps des lentes maturations, des fécondes gestations,
c’est réapprendre à marcher, pas à pas, vers notre humanité, c’est donner enfin de l’air à « l’homme intérieur »,
c’est briser l’enchaînement frénétique du temps trop vide parce que trop plein,
c’est faire, en soi, au plus intime de son mystère d’homme,
de la place à l’avènement de l’Inattendu.

Vivre l’Avent,
c’est laisser les douces mains du « Dieu potier », qu’évoque si joliment le prophète Isaïe dans notre première lecture, façonner l’argile de nos vies.

Il nous faut, pour cela, Frères et Sœurs, laisser du temps à Dieu pour qu’il mette doucement notre cœur sur son tour de potier, pour que, de ses mains de Créateur, il nous façonne l’âme, comme on façonne un vase d’argile pour y mettre un précieux parfum !

Oui, Frères et Sœurs, entrer dans l’Avent, c’est veiller à redevenir une argile souple sous les mains de Dieu.

Et cette « souplesse » peut et doit se travailler !

Nous sommes conviés, en ce temps de l’Avent, à une « gymnastique de l’âme » qui comporte au moins deux exercices :

- Veiller, c’est d’abord mesurer l’urgence qu’il y a pour nos vies à s’arrêter enfin devant Dieu. L’Avent nous convoque impérieusement à trouver, dans nos agendas, du temps « pour rien », du temps apparemment sans efficacité, du temps enfin « gratuit », « vide », du temps sans « retour sur investissement » prévisible et calculé, un vide que Dieu pourra enfin remplir de sa présence. Veiller, c’est donc d’abord trouver le temps de la prière, le temps de se re-cueillir, de se « cueillir à nouveau », de se re-centrer sur l’essentiel.

- Veiller, c’est aussi se faire « bien-veillant » aux êtres et au monde qui nous entourent. Veiller, c’est « sur-veiller » la douleur du monde, comme le lait sur le feu, afin qu’elle ne déborde pas…Veiller, c’est « veiller au grain », faire en sorte que celles et ceux que nous croisons ne « crèvent » pas de faim, de solitude, d’injustice, d’oubli, de racisme, d’exclusion sociale, de manque d’amour…

A quoi bon la douce lueur de la crèche si, chez nous, nous sommes indisponibles à celles et ceux que nous prétendons aimer, si, à deux pas de chez nous, les banlieues s’embrasent, les sans abris crèvent de froid et de solitude, si, à des milliers de kilomètres de chez nous, des peuples s’enfoncent chaque jour un peu plus dans la misère, sous les coup de boutoir aveugles de la Mondialisation.
Veiller, c’est donc aussi réveiller nos cœurs, nos consciences et nos solidarités.


L’Eglise de France lance ces jours-ci une belle initiative, une vaste réflexion intitulé « Diaconia 2013 ». Pour nous rappeler qu’en christianisme, le service, la solidarité ne sont pas matières à option. Qu’il ne sert à rien de s’agenouiller devant l’autel si, du même mouvement, nous ne nous agenouillons pas devant notre frère qui souffre…

Il faut, Frères et Sœurs, pour devenir « Sentinelles de Noël », accepter de vivre la féconde tension entre prière et action, intériorité et engagement, lutte et contemplation.

Car Noël n’est pas une sorte de « commémoration du souvenir » !
Dieu n’est jamais moins Dieu que coincé dans les ornières des pieuses nostalgies : Dieu n’est pas né d’hier, mais de demain !

Et pour venir naître sur la terre de notre humanité, Dieu a besoin de nos cœurs et de nos mains pour transformer ce monde, pour que ce monde – à commencer par notre propre cœur ! - devienne la crèche de sa Divine Présence.

Oui, Frères et Sœurs, l’Avent nous convie à la lutte, au combat, humain et spirituel – en nous et autour de nous – afin de rendre cette terre « divinement habitable » !

Oui, nous n’avons pas de tâche plus urgente que de lutter contre les pesanteurs pour qu’advienne enfin la grâce…

Notre tâche de pèlerins en marche vers la Nativité est d’essayer d’offrir un peu de paille chaude, en nous, à la Promesse, un peu de lueur, autour de nous, à l’Espérance …

« La Parole de Dieu est venue à nous, et en nous ne se tait pas. » disait Saint Ambroise de Milan.

A chacune et à chacun d’entre nous de savoir tendre l’oreille pour l’écouter…

Face à tous les embrasements du monde et tous les refroidissements du cœur,
le « Résistant spirituel » est celui qui,
comme l’écrit fort joliment la pianiste Hélène Grimaud,
« veille à faire du tissu de son âme une matière inflammable ! »

Amen…

© Bertrand Révillion
Reproduction interdite sauf autorisation

15.11.11

Paroles de feu de Bernanos

« Je le dis, je le répète, je ne me lasserai jamais de proclamer que l’état du monde est une honte pour les chrétiens. Le sacrement de baptême leur a-t-il été conféré simplement pour leur permettre de juger de haut, avec mépris, les malheureux incrédules qui, faute de mieux, poursuivent une entreprise absurde, s’efforçant inutilement d’instaurer, par leur propre moyen, un royaume de justice sans justice, une chrétienté sans Christ ? Nous répétons sans cesse avec des larmes d’impuissance, de paresse et d’orgueil que le monde se déchristianise. Mais le monde n’a pas reçu le Christ, c’est nous qui l’avons reçu pour lui, c’est de nos cœurs que Dieu se retire, c’est nous qui nous déchristianisons, misérables ! »

Georges Bernanos – "Français si vous saviez"