15.1.11

A l'occasion de la "Journée mondiale du Migrant et du Refugié"

Dimanche 16 janvier 2011



C’est aujourd’hui, frères et sœurs, la « Journée mondiale du migrant et du réfugié ».
Le pape nous invite avec insistance à réfléchir à notre attitude, non pas « face » au migrant mais « avec » lui. Benoît XVI a choisi pour thème de cette journée : « Une seule famille humaine ». Il s’agit de laisser résonner dans notre cœur cette parole évangélique : « Qu’as-tu fait de ton frère ? »

S’il me prenait l’idée de réaliser ici, en direct, un petit sondage, nul doute que se dégagerait une majorité écrasante pour considérer que l’accueil de l’étranger est une grande et belle valeur chrétienne.

Je crois que nous serions assez vite d’accord sur ce beau principe rappelé par le concile que je cite : « tous les peuples forment une seule communauté ; ils ont une seule origine, puisque Dieu a fait habiter tout le genre humain sur toute la face de la terre ».
Mais, si nous commencions, frères et sœurs, à discuter autour d’une table de la présence des étrangers dans les quartiers, dans les banlieues, au travail, dans le métro; si nous abordions la question de l’expression publique et visible de leurs coutumes et de leur religion, il y a fort à parier que les débats deviendraient vite passionnés et que des divergences se feraient assez vite jour entre nous.

Nous avons toutes et tous en mémoire la polémique de cet été autour de la question des « Roms ».
Certains évêques – dont le nôtre – ont pris publiquement position pour rappeler le respect de la dignité due aux étrangers.
Ils ont été applaudis par certains, et un peu « sifflés » par d’autres. Je sais que certains catholiques ont fait savoir à Eric Aumônier qu’ils n’étaient pas d’accord, qu’un évêque n’avait pas à faire de « politique » et qu’il n’avait pas grand chose à faire dans un camp de Roms sous les caméras de télévision.
Un sondage pour La Croix de l’institut CSA réalisé en août, juste après les évènements, indiquait que 55 % des catholiques soutenaient les expulsions des Roms.

Preuve d’un vrai malaise, d’un débat davantage passionné qu’argumenté, révélateur d’une peur de l’étranger qui ne cesse de se développer en Europe. Violences racistes en Italie, score croissant de partis nationalistes plus ou moins ouvertement xénophobes dans plusieurs pays…
Lorsque le cardinal Tarcisio Bertone, « ministre des affaires étrangères » du Pape affirme avec force que « tout migrant est une personne humaine qui possède des droits fondamentaux inaliénables » tous les chrétiens sont « pieusement » d’accord.

Pourtant, lorsque les langues se délient, on entend dire de plus en plus souvent : « les beaux principes éthiques, c’est bien, mais il ne faut pas non plus être naïf ».


Entonnant le refrain « on ne peut pas accueillir toute la misère du monde » - ce qui n’est pas faux ! - , des catholiques expriment de plus en plus ouvertement, comme le reste des français, leur anxiété face à d’autres cultures, traditions, religions, modes de vie...
On l’a vu dans le débat piégé autour de l’identité nationale…

« La peur fait parfois perdre tout sens critique, écrivait le cardinal Ricard, en septembre dernier. L’homme qui a peur ne parle plus, il aboie. J’ai été choqué, continuait l’archevêque de Bordeaux, de la violence avec laquelle ces problèmes humains ont souvent été abordés. Or le Christ Ressuscité vient nous libérer de la peur. Il nous donne la force de risquer la rencontre avec l’autre. En rappelant cela, l’Eglise ne fait pas de politique, elle témoigne simplement de la puissance et de l’exigence de l’Evangile ».

Notre évêque, lui aussi, rappelait avec force la doctrine sociale de l’Eglise en matière d’accueil de l’étranger :
« Il y a des devoirs humains non négociables envers le prochain et au manquement desquels il nous faudra toujours réagir : pourquoi les étudiants étrangers ne trouvent-ils pas de logement ? Est-il acceptable d’oser demander à des Roms ou à des gens du voyage de partir ou de brûler leurs caravanes. Doit-on accepter qu’existent des hôtels recevant des émigrés où ne fonctionnent ni l’eau ni le chauffage ? Doit-on laisser attendre dehors pendant des heures, bien avant la levée du jour, des demandeurs d’asile espérant obtenir un rendez-vous ? Et quand on vient arrêter quelqu’un pour le reconduire à la frontière, doit-on prendre moins de gants qu’on ne le fait avec un escroc de haut vol ? Poser ces questions et chercher à les résoudre n’est ni de droite, ni de gauche. C’est simplement humain et chrétien ! » concluait Eric Aumônier.

Alors charité ou naïveté ?
Fraternité ou réalisme ?


Depuis des siècles et des siècles, les chrétiens, avec la Bible, affirment que l’accueil de l’étranger n’est pas matière à option.
Le peuple hébreu lui-même, fut étranger en Egypte ou à Babylone.
Et le christianisme s’est répandu dans le monde par « migration » de ses disciples…

Comme l’affirme Mgr Pontier : « il y a des pages de la Bible que l’on ne peut arracher ! »

Le phénomène migratoire est devenu mondial, il est même inhérent à la mondialisation. Nos sociétés veulent filtrer les flux humains en fonction de leurs besoins ; elles peinent à intégrer les générations nées sur leur sol de parents venus d’ailleurs.

L’Eglise catholique, s’appuyant sur le trésor de sa « Doctrine sociale » refuse d’aborder la question des migrants d’abord comme un « problème », encore moins comme une menace ».
Sans naïveté, elle sait bien que les migrations sont une réalité complexe, aux conséquences parfois difficiles, voire dramatiques, mais l’Eglise affirme cependant que les migrations peuvent aussi être une chance, une situation où l’espérance et la fraternité sont possibles.
Il ne s’agit pas d’abord de « dévisager » l’autre qui ne me ressemble pas, il s’agit d’envisager un avenir commun avec lui !

Cela suppose de notre part, loin des réactions affectives passionnées et à fleur de peau, de prendre le temps de travailler un peu la question. Je vous propose quelques pistes :
- comment puis-je mieux saisir et approfondir les causes des migrations, dans le contexte de la mondialisation et de la construction européenne ?

- quelle conscience ai-je réellement du déséquilibre entre le Nord et le Sud, que sais-je des raisons économiques de ce déséquilibre entre les pays pauvres et les sociétés plus riches.
- Au-delà des réflexes de peur, que sais-je réellement des chiffres des migrations : selon une récente étude, le nombre des migrants ne dépasse pas 3% de la population mondiale…

- En tant que citoyen, électeur, comment je pèse sur les choix politiques, de droite comme de gauche, afin que sans angélisme, avec réalisme, des solutions soient effectivement mises en place pour que la France reste une terre d’asile, une terre d’accueil fidèle aux grandes valeurs de la République ? Et que lorsque cet accueil n’est pas possible, la dignité humaine soit respectée. Comment est-ce que j’use ou je n’use pas de ma liberté d’indignation ?

- Comment puis-je nourrir ma réflexion sur l’accueil de l’étranger à l’écoute de la Bible, de la pensée sociale de l’Eglise, des grands textes des Papes en la matière ?

- Comment, si je suis parents, puis-je ouvrir le cœur de mes enfants à l’accueil de l’autre, de l’étranger, du différent ? Comme puis-je l’ouvrir à la richesse de l’étranger plutôt que de mettre insidieusement en lui un sentiment de méfiance ?

- Et dans notre communauté chrétienne, quelles initiatives pouvons-nous prendre pour que très concrètement, l’étranger, celui qui vient d’une autre culture se sente vraiment accueilli, qu’il participe à la vie commune, qu’on lui confie des responsabilités ?

Jean-Paul II reconnaissait « le droit à émigrer ». « L’Eglise, disait-il en 2001, reconnaît ce droit à tout homme, sous son double aspect : possibilité de sortir de son pays et possibilité d’entrer dans un autre pays à la recherche de meilleures conditions de vie. »
Et le Pape, loin de toute naïveté ajoutait : « Les Etats ont le droit de réglementer les flux migratoires et de défendre leurs frontières, en garantissant toujours le respect dû à la dignité de chaque personne humaine (…) Il faut concilier l’accueil qui est dû à tous les êtres humains, spécialement indigents, avec l’évaluation des conditions indispensables à une vie digne et pacifique avec les habitants originaires du pays et pour ceux qui viennent les rejoindre ».

Voilà une belle « terre de mission » pour nous autres chrétiens qui avons, sans complexe, et sans naïveté, à faire entendre nos valeurs au cœur de la société où nous vivons. Comme l’affirme Jérôme Vignon, Président des « Semaines Sociales », « L’Eglise doit se faire entendre et donner du courage à la politique. »
La charité n’est pas une conséquence morale de la foi. Elle constitue le cœur même de la foi.

Jésus a dit : « J’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ».
Jésus n’a pas dit : « J’étais un étranger avec des papiers en règle, une culture et une religion assimilables, une bonne santé et de bons diplômes et vous m’avez accueilli ! »

Laissons le dernier mot à St Jean :
« Celui qui dit j’aime Dieu et qui haït son frère, est un menteur » !


Ps : Un site de l'Eglise catholique pour prolonger la réflexion: http://www.eglisemigrations.org/

8.1.11

A méditer en janvier

« En acceptant d’être sensible, on ne risque de tuer que soi-même, en se durcissant, ce sont les autres qu’on tue.»
Michel del Castillo, écrivain

Fin d'année

Le calendrier achève de jaunir sur le mur de la cuisine. Après un an de bons et loyaux services, il vit ses dernières heures, et s’apprête à rejoindre les vieux papiers pour le feu… Au fronton des mois égrainés se dévoilent, à l’encre délavée, les vestiges d’une année, qu’une fois encore, on n’a pas vu passer : dîners amicaux, impératifs professionnels « à ne surtout pas oublier », réunions de parents, week-end en famille, urgences diverses se mêlent aux rendez-vous chez le dentiste et aux pense-bêtes en tous genres ; il y a aussi les cases vierges, fécondes respirations ou mauvais souvenirs de jours trop vides…
Trois cent soixante cinq journées, autant de nuits et leurs lots de sourire et de larmes, de joie fugace et de coup de blues, de bonheurs âpres et de complicités légères… Douze mois d’une vie qu’on a tenté de vivre au mieux, ou au moins mal… Des milliers d’heures où il y eut de bonnes et de mauvaises nouvelles : annonce d’un mariage, perspective d’une naissance, choc brutal d’un licenciement ou d’une maladie, douleur infinie de voir un ami mourir beaucoup trop jeune, d’assister impuissant à la vague qui s’abat sur sa tendre femme, sur leurs enfants encore à grandir…
La vie qui passe comme un vif éclat de lumière, comme une ardente blessure aussi. Et au milieu de cette mer de secondes, peut-être, comme un minuscule chapelet d’îles, quelques instants fugaces de prière…
Voici que sur les dernières cases de la dernière page du calendrier déjà périmé s’annoncent les « fêtes de fin d’année ». Mais que célèbre-t-on ainsi ? La mémoire des jours heureux ou l’oubli des heures sombres ? La joie de rendre grâce pour le temps souriant qui nous fut donné ou le vain espoir de noyer sous des flots de Champagne ou de mauvais mousseux les minutes chagrines qu’on aurait tant souhaité ne pas avoir vivre ? La fin d’année comme amnésie ou anamnèse ?
Chacune et chacun à notre manière, nous sommes les héritiers de notre propre histoire, du temps que nous avons vécu, tant bien que mal, au cœur de nos fragilités. Cet héritage – actif et passif indissociablement liés – constitue le bouquet terreux de nos racines : il est aussi nos ailes ! A nous de regarder notre propre passé comme le rocher qui écrase Sisyphe ou comme l’échelle qui permet à Jacob de s’approcher un peu de la lumière !
Et si le poids des jours trop lourds d’hier donnait poids, densité, richesse, paradoxale fécondité aux jours à venir ? Et si la pesanteur ouvrait les portes de la grâce ? La croix comme un étroit passage… Et si nos heures, heureuses et moins heureuses, étaient toutes habitées, accompagnées, secrètement tenues par la main de la Promesse qui, pas à pas nous guide sur le sinueux chemin du dur métier de vivre vers l’indicible espérance ?
A la charnière des ans, sur le quai de cette fin d’année, il nous faut, à l’aube d’un nouvel embarquement, nous souhaiter fraternellement d’avoir faim de l’année qui devant nous s’annonce comme une traversée divinement et pauvrement humaine.
Oui, souhaitons-nous fraternellement de nous laisser donner le cap par Celui qui, seul, sait le chemin... L’Eternel n’habite pas le passé : il ne sait conjuguer – avec nous et pour nous – que… le présent du futur !

Noël à hauteur de museau

« L’incarnation se joue toujours à même la glèbe.»

La neige a pris dans son étau les marches de pierre. Plusieurs vigoureux coup de pelle ont fini par ouvrir un passage. En tournant, la clef forgée a fait résonner la voûte. Il a fallu un franc coup d’épaule pour libérer le vantail. L’humidité glaciale a fouetté le visage du visiteur. Etrangement esseulée dans l’ombre froide, la frêle lampe du tabernacle a semblée presque incongrue. Comme si, en partant, le dernier visiteur avait oublié d’éteindre. Ou pas bien su comment s’y prendre. Pas si facile d’interrompre la petite veilleuse du « bon Dieu » !
Reprendre souffle, se poser un instant… Oublier Paris, la fébrilité professionnelle et ses tensions parfois mesquines, les embouteillages, sur l’autoroute et dans le cœur… Quelques secondes à s’asseoir sur les bancs polis par les ans. On dit que ce sont les Chartreux qui les auraient façonnés, que les villageois les auraient soustraits à la spoliation. Harassant périple à dos d’âne par delà le col qui domine le monastère. Solidarité virile des montagnards de l’époque pour qui la foi était aussi affaire de muscles et de sueur…
Enfin quelques jours sans agenda, sans programme, sans image de soi à endosser comme un costume qui gêne aux entournures. On appelle cela le « temps libre », étrange expression qui en dit long sur la manière dont nous habitons nos jours…
Esquisse spontanée d’une prière mutique : rien à dire, tout à entendre; enfin peut-être, si « le grand silence » daigne venir murmurer son secret à l’oreille engourdie de l’âme… Dans sa statue de plâtre bouffée d’humidité, saint Bruno veille…
Combien seront-ils ce prochain Noël dans cette paroisse reculée de montagne ? Cinq, dix, quinze ? Peut importe : Dieu n’est pas un comptable ! Et ceux qui ne viendront pas n’en resteront pas moins aimés du locataire du tabernacle qui toujours préfère une âme bourrue et mécréante à son étroit « placard » recouvert de dentelle défraîchie.
Il a fallut encore batailler avec la serrure de la sacristie : odeur de renfermé et de tissu moisi. Les vieilles frusques liturgiques et tout le saint frusquin du temps d’avant achèvent leur naufrage…
La caisse est là, rangée sans doute par le dernier curé résident ou par une pieuse paroissienne. Il manque une patte à l’âne, et le « petit Jésus » n’est, vu sa taille dépareillée, sans doute pas d’origine. Une pièce rapportée ! « Cela lui va plutôt bien », sourit le visiteur qui commence à installer la crèche désuette au pieds de l’autel. Il faut s’agenouiller sur le parquet usé, se mettre à hauteur de bergers, de brebis bêlantes et d’étable crottée. Noël ne se renifle qu’à hauteur de museau, à raz de foin. L’incarnation se joue toujours à même la glèbe.
Joseph a son air ahuri habituel. Il n’en revient pas de voir sa douce et tendre Marie donner le jour à l’enfant de la divine Promesse. Il est comme nous Joseph : voici que l’ange du Très Haut le presse d’adopter le propre Fils de Dieu !
Vite il lui faut réchauffer – et nous avec lui – son cœur de voyageur exténué comme on ramène un peu d’air dans le chœur d’une vieille église quelque part en montagne, sur la terre des hommes... Noël, parabole de notre avenir !