6.12.11

Une bien jolie citation que m'offre mon amie Colette Nys-Mazure


"Je croyais que mon voyage touchait à sa fin, ayant atteint l’extrême limite de mon pouvoir,- que le sentier devant moi s’arrêtait, que me provisions étaient épuisées et que le temps était venu de prendre retraite dans une silencieuse obscurité.
Mais je découvre que ta volonté ne connaît pas de fin en moi. Et quand les vieille paroles expirent sur la langue, de nouvelles mélodies jaillissent du cœur ; et là où les vieilles pistes se sont perdues, une nouvelle contrée se découvre avec ses merveilles."


Rabindranath Tagore (1861-1941)
L’offrande lyrique
Traduction d’André Gide, Gallimard, 1947

26.11.11

L'Eglise n'est pas un "Fast Food" !

Homélie du 1er dimanche de l’Avent (B)


Nous vivons, Frères et Sœurs, des temps de frénésies :
Voici que nos heures se font courtes à force d’être gavées d’activités fébriles.

Curieux paradoxe d’une époque prétendument « moderne » où la réussite humaine se juge à l’aune de notre indisponibilité chronique et au débordement compulsif de nos agendas…

Comme si le seul moyen de nous sentir exister
consistait à ne pas avoir le temps de vivre !

Comme si nos essoufflements, notre course quotidienne,
notre « zapping » permanent étaient la preuve sociale
de notre compétence !

Le stress comme une « légion d’honneur » !

Nous vivons – vous le savez bien, Frères et Sœurs – au triste siècle d’Antigone : « je veux tout, et tout de suite, et je ne supporte pas d’attendre… »

Rêve chimérique de voir se briser au plus vite, entre nos doigts, le goulot de verre du sablier du temps :

voici qu’il nous faut du « haut débit », des téléphones bientôt greffés directement sur le coeur pour pouvoir répondre tout de suite, « en temps réel » dit une bien curieuse expression,
comme si le temps de l’attente était un temps moins réel, moins vrai !
Les lectures de ce premier dimanche de l’Avent viennent, salutairement, nous rappeler quelques vérités.

On pourrait résumer ces lectures d’une formule choc, un peu iconoclaste :

« L’Eglise n’est pas un « fast-food » » !

Non ! La vie spirituelle ne peut certainement pas se nourrir aux comptoirs de « restauration rapide » ! Les « super maxi best off » n’existent pas dans le domaine de la vie spirituelle !

On pourrait même dire que la vraie nourriture spirituelle n’est pas celle qui comble notre « faim », mais bien au contraire, celle qui l’attise et la creuse.

Si nous venons à l’eucharistie, ce n’est pas pour être « repus » mais, paradoxalement, pour repartir avec une faim encore plus grande…

Le grand message de l’Avent, qui vaut pour toute la vie chrétienne, l’évangéliste Marc, nous le rappelle d’un mot : « Veillez » !

Oui, il nous faut veiller, Frères et Sœurs, c’est à dire, retrouver le sens de l’attente !

Oui, vivre l’Avent,
c’est oser vivre enfin le temps des lentes maturations, des fécondes gestations,
c’est réapprendre à marcher, pas à pas, vers notre humanité, c’est donner enfin de l’air à « l’homme intérieur »,
c’est briser l’enchaînement frénétique du temps trop vide parce que trop plein,
c’est faire, en soi, au plus intime de son mystère d’homme,
de la place à l’avènement de l’Inattendu.

Vivre l’Avent,
c’est laisser les douces mains du « Dieu potier », qu’évoque si joliment le prophète Isaïe dans notre première lecture, façonner l’argile de nos vies.

Il nous faut, pour cela, Frères et Sœurs, laisser du temps à Dieu pour qu’il mette doucement notre cœur sur son tour de potier, pour que, de ses mains de Créateur, il nous façonne l’âme, comme on façonne un vase d’argile pour y mettre un précieux parfum !

Oui, Frères et Sœurs, entrer dans l’Avent, c’est veiller à redevenir une argile souple sous les mains de Dieu.

Et cette « souplesse » peut et doit se travailler !

Nous sommes conviés, en ce temps de l’Avent, à une « gymnastique de l’âme » qui comporte au moins deux exercices :

- Veiller, c’est d’abord mesurer l’urgence qu’il y a pour nos vies à s’arrêter enfin devant Dieu. L’Avent nous convoque impérieusement à trouver, dans nos agendas, du temps « pour rien », du temps apparemment sans efficacité, du temps enfin « gratuit », « vide », du temps sans « retour sur investissement » prévisible et calculé, un vide que Dieu pourra enfin remplir de sa présence. Veiller, c’est donc d’abord trouver le temps de la prière, le temps de se re-cueillir, de se « cueillir à nouveau », de se re-centrer sur l’essentiel.

- Veiller, c’est aussi se faire « bien-veillant » aux êtres et au monde qui nous entourent. Veiller, c’est « sur-veiller » la douleur du monde, comme le lait sur le feu, afin qu’elle ne déborde pas…Veiller, c’est « veiller au grain », faire en sorte que celles et ceux que nous croisons ne « crèvent » pas de faim, de solitude, d’injustice, d’oubli, de racisme, d’exclusion sociale, de manque d’amour…

A quoi bon la douce lueur de la crèche si, chez nous, nous sommes indisponibles à celles et ceux que nous prétendons aimer, si, à deux pas de chez nous, les banlieues s’embrasent, les sans abris crèvent de froid et de solitude, si, à des milliers de kilomètres de chez nous, des peuples s’enfoncent chaque jour un peu plus dans la misère, sous les coup de boutoir aveugles de la Mondialisation.
Veiller, c’est donc aussi réveiller nos cœurs, nos consciences et nos solidarités.


L’Eglise de France lance ces jours-ci une belle initiative, une vaste réflexion intitulé « Diaconia 2013 ». Pour nous rappeler qu’en christianisme, le service, la solidarité ne sont pas matières à option. Qu’il ne sert à rien de s’agenouiller devant l’autel si, du même mouvement, nous ne nous agenouillons pas devant notre frère qui souffre…

Il faut, Frères et Sœurs, pour devenir « Sentinelles de Noël », accepter de vivre la féconde tension entre prière et action, intériorité et engagement, lutte et contemplation.

Car Noël n’est pas une sorte de « commémoration du souvenir » !
Dieu n’est jamais moins Dieu que coincé dans les ornières des pieuses nostalgies : Dieu n’est pas né d’hier, mais de demain !

Et pour venir naître sur la terre de notre humanité, Dieu a besoin de nos cœurs et de nos mains pour transformer ce monde, pour que ce monde – à commencer par notre propre cœur ! - devienne la crèche de sa Divine Présence.

Oui, Frères et Sœurs, l’Avent nous convie à la lutte, au combat, humain et spirituel – en nous et autour de nous – afin de rendre cette terre « divinement habitable » !

Oui, nous n’avons pas de tâche plus urgente que de lutter contre les pesanteurs pour qu’advienne enfin la grâce…

Notre tâche de pèlerins en marche vers la Nativité est d’essayer d’offrir un peu de paille chaude, en nous, à la Promesse, un peu de lueur, autour de nous, à l’Espérance …

« La Parole de Dieu est venue à nous, et en nous ne se tait pas. » disait Saint Ambroise de Milan.

A chacune et à chacun d’entre nous de savoir tendre l’oreille pour l’écouter…

Face à tous les embrasements du monde et tous les refroidissements du cœur,
le « Résistant spirituel » est celui qui,
comme l’écrit fort joliment la pianiste Hélène Grimaud,
« veille à faire du tissu de son âme une matière inflammable ! »

Amen…

© Bertrand Révillion
Reproduction interdite sauf autorisation

15.11.11

Paroles de feu de Bernanos

« Je le dis, je le répète, je ne me lasserai jamais de proclamer que l’état du monde est une honte pour les chrétiens. Le sacrement de baptême leur a-t-il été conféré simplement pour leur permettre de juger de haut, avec mépris, les malheureux incrédules qui, faute de mieux, poursuivent une entreprise absurde, s’efforçant inutilement d’instaurer, par leur propre moyen, un royaume de justice sans justice, une chrétienté sans Christ ? Nous répétons sans cesse avec des larmes d’impuissance, de paresse et d’orgueil que le monde se déchristianise. Mais le monde n’a pas reçu le Christ, c’est nous qui l’avons reçu pour lui, c’est de nos cœurs que Dieu se retire, c’est nous qui nous déchristianisons, misérables ! »

Georges Bernanos – "Français si vous saviez"

25.10.11

Rencontre avec Mireille Dumas

Cher(e)s ami(e)s, une nouvelle aventure éditoriale avec le mensuel Psychologie Magazine
Chaque mois, je dialogue avec une personnalité autour d’un moment de prise de conscience spirituel ou existentiel.
Ce mois-ci (à retrouver dans le N° daté Novembre de Psychologies Magazine), l'amie Mireille Dumas.




« Soudain, le ciel s’est vidé… »

Depuis 1992 avec « Bas les masques », suivi de « La Vie à l’endroit » (1997), puis de « Vie publique/Vie privée » (2000), Mireille Dumas porte, auprès des célébrités et des inconnus, un questionnement souvent intime. A chaque fois, elle dévoile le mystère d’une vie d’homme ou de femme. Sur France 3, elle nous donne rendez-vous tout au long de cette année pour une série d’émissions « Spéciales » en prime-time, dès le mois de novembre.



« Ma réaction spontanée lorsqu’on me demande si je crois en Dieu, c’est de répondre non. Mais je pondère immédiatement car le mystère que je constate dans l’homme m’amène à envisager une transcendance. Si Dieu existe, c’est en l’homme qu’il habite… »
Mireille Dumas avait ce jour-là confié sa quête spirituelle, son goût pour le recueillement, ses escales dans les églises désertes, presque son désir de croire... Elle l’avait fait avec pudeur, reprochant gentiment à son interloctueur, ses « questions trop intimes », elle, l’intervieweuse passionnée de « Bas les Masques » et de « Vie Publiques/Vie Privée » !
Quelques années plus tard, sur les canapés rouges de « MD Productions », la conversation se poursuit « Je crois que mon interrogation spirituelle est toujours là, même si une déchirure brutale m’a fait plonger plusieurs années dans un forme massive d’athéisme ».
Les mains enfouies dans ses longs cheveux, elle raconte avec une émotion qu’elle peine à contenir : « C’était il y a un peu plus de cinq ans. Ce jour-là Antoine est mort. Antoine était le fils de mon mari. Un enfant « différent » comme on dit, atteint d’une affection psychique mais un être « solaire », attachant, joyeux, hypersensible que j’ai accompagné comme une seconde mère. A 35 ans, il avait encore la belle candeur d’un enfant. Il est tombé malade, longuement, durement, puis une erreur médicale a précipité la fin ».
Mireille hésite, cherche le mot juste. « Lorsque ce drame est arrivé, comme une véritable déflagration, j’étais dans une attitude spirituelle plutôt ouverte. Si je n’avais pas foi en Dieu, j’avais du goût pour l’intériorité, le recueillement. J’avais interviewé des moniales qui m’avaient raconté comment elles avaient été frappées, un jour, par l’évidence de Dieu, souvent en entrant dans une église. »
C’est en Corse que les obsèques d’Antoine seront célébrées. Tout le village entoure la famille. « Quand je suis entrée dans la petite église avec mon mari et la mère d’Antoine, tous fracassés par le chagrin, j’espérais secrètement que j’allais être aidée, portée par quelque chose ou « quelqu’un », cette force mystérieuse qu’on appelle Dieu. Qu’il allait se produire la même chose que pour les moniales. Et ce fut tout le contraire : les rites ne m’ont pas parlé, les mots du curé m’ont semblé « à côté ». C’était comme si une porte se fermait sur un ciel définitivement vide !»
Dans l’avion du retour, Mireille Dumas songe aux survivants de la Shoa pour qui toute croyance est devenue impossible… Pendant trois ans, c’est comme si c’était Dieu lui-même qu’on avait porté en terre dans ce petit cimetière Corse.
« Et puis imperceptiblement, la vie reprend ses droits, on se surprend à rire. A espérer qu’Antoine est peut-être « quelque part », au-delà que dans notre cœur, à la possibilité d’un amour plus grand que nous. : pourquoi pas Dieu ? »
Sur le palier, en raccompagnant son visiteur, Mireille ajoute : « Si un jour je le rencontre, il va falloir qu’il m’explique ! Pourquoi tant de souffrances ? »

© http://www.psychologies.com/Psychologies-Magazine

7.10.11

Petit lexique biblique pour temps de crise...

A, comme ARGENT : « La richesse est bonne quand elle est sans péché » (Siracide 13, 24)

B, comme BOURSE : « Vous ne me traiterez pas comme un dieu en argent ni comme un dieu en or – vous ne vous en fabriquerez pas. » (Exode 20, 23)

C, comme COMPTE EN BANQUE : « Pierre répliqua (à Simon) : périsse ton argent, et toi avec lui, pour avoir cru que tu pouvais acheter, avec l’argent, le don gratuit de Dieu. » (Actes 8,20)

D, comme DIVIDENDES : « Qui aime l’argent ne se rassasiera pas d’argent, ni du revenu celui qui aime le luxe. Cela est aussi vanité. » (Qohéleth 5 9)

E, comme EMPRUNT : « Le riche domine lses indigents et le débiteur est esclave de son créancier. » (Proverbes, 22 ,7)

F, comme FONDS DE PLACEMENT : « Le juste donne sans épargner » (Proverbes 21, 26)

G, comme « GOLDEN PARACHUT » : « Car l’or et l’argent sont la cause de leur péché, de leur splendide parure, ils ont fait leur orgueil ». (Ezéchiel 7, 19)

I, comme INFLATION : « Ton argent est devenu de l’écume… » (Isaïe 1, 22)

J, comme JUSTICE SOCIALE : « Votre superflu pourvoie à leur dénuement. » (2 Corinthiens 8, 14)

M, comme MONDIALISATION : « Eh bien ! Moi, je vous dis : faites-vous des amis avec l’Argent trompeur… » (Luc 16, 9)

O, comme OR : « Mais la sagesse, où la trouver ? Elle ne s’échange pas contre de l’or massif, elle ne s’achète pas au poids de l’argent. » (Job, 28,15)

P, comme PROFIT : « Incline mon cœur vers Tes exigences, et non vers le profit. » (Psaume 119, 36)

R, comme RENTABILITE : « Sois prêt à perdre de l’argent pour un frère ou un ami, plutôt que de le perdre en le laissant rouiller sous la pierre » (Siracide 29, 9)

S, comme « SUBPRIMES » : « Ils ont vendus le juste pour de l’argent, et le pauvre pour une paire de sandales » (Amos 2, 6)

T, comme TAUX D’INTERET : « Que l’argent ne s’ajoute pas l’argent… » (Tobie 5 19)

V, comme VALEUR : « Le riche et l’indigent se rejoignent, le Seigneur les a fait tous les deux » (Proverbe 22, 1)

Y, comme …YAHVE : « Vous ne pouvez servir Dieu et l’argent ». (Matthieu, 6, 24)

©Bertrand Révillion

7.9.11

A quand un véritable accueil des divorcés remariés ?


Le Président de la Conférence épiscopale allemande, Mgr Zollitsch, dans un entretien courageux au journal "Die Zeit" espère une évolution de la position de l'Eglise vis à vis des divorcés remariés. "C'est une question de miséricorde. Il s'agit de venir en aide à ceux qui souffrent, qui ont connu l'échec." précise l'archevêque de Fribourg (La Croix-6 septembre).

Il serait grand temps, en effet, d'ouvrir enfin le débat sur le refus actuel de permettre l'accès au sacrement de réconciliation aux divorcés remariés et de réfléchir à la manière de les inviter à la table de communion, eux qui, plus que d'autres, ont faim de la tendresse du Père.

J'ai eu l'occasion de poser la question à Albert Rouet, juste avant son départ du diocèse de Poitiers. Voici ce qu'il me répondait (et que j'ai alors publié dans Panorama, non sans quelques "dommages collatéraux"...) :

"- Sur certaines questions de morale, l’Eglise ne doit-elle pas aussi d’urgence bouger ? Le sort réservé aux divorcés, notamment « remariés » est-il tenable ?"

"- C’est une question qui est cause de douleurs infinies. Commençons par relire l’Ecriture : il y a cette phrase de Jésus relatée au chapitre 19 de l’Evangile selon Matthieu : « Ce que Dieu a uni, l’homme ne doit point le séparer. » La position actuelle de l’Eglise repose en grande partie sur ce texte. Or, la question posée par les pharisiens à Jésus concerne la répudiation. Et il se prononce clairement contre la répudiation, acte qui consiste à rejeter son conjoint comme une chose pour en choisir un autre. Peut-on totalement assimiler répudiation et divorce ? On utilise ce mot de « divorcé » à la fois pour désigner celui, ou celle qui s’en va pour un ou une autre et pour désigner celle ou celui qui se trouve abandonné, rejeté. Bien sûr, il y a des cas où les torts sont partagés, mais le plus souvent, pas à égalité ! Enfermer toutes les situations dans ce seul mot de « divorcé » ne semble pas juste. La faute n’est pas la même pour celui ou celle qui s’en va et qui laisse l’autre désemparé avec 2 ou 3 enfants à élever… On ne peut pas aborder ces questions difficiles sans avoir un authentique souci pastoral, parce qu’on ne peut pas, d’un côté, affirmer que les sacrements font la vie chrétienne et de l’autre continuer à demander aux hommes et aux femmes blessés dans leur amour de vivre leur foi sans sacrement ! Comment un homme ou une femme peut-il être ainsi laissé au cœur d’un péché sans pardon possible ? Dans la riche tradition de l’Eglise on trouve quelques éléments d’ouverture, y compris au Concile de Trente. Il me semble urgent de se poser la question, sans brader le sacrement de mariage, sans faire l’impasse sur la nécessaire reconnaissance de ses torts, sans oublier le respect dû au premier conjoint…"

6.7.11

Avec le peintre Arcabas

J'ai eu le grand bonheur de participer à l'animation du grand forum de Pentecôte organisé au Centre spirituel St Hugues de Biviers (Isère) sous le patronage de Pierre Ganne, avec la participation de nombreux jésuites et du peintre Arcabas. Reportage photo sur ce week-end inoubliable.

http://www.st-hugues-de-biviers.org/pentecote2011/en_images.htm

7.5.11

L'athlète de Dieu

La mort de Jean-Paul II suscita un forte émotion internationale bien au-delà du « périmètre » de la seule Eglise catholique. Sa béatification fut, le week-end dernier, aussi un événement de grande ampleur. Rarement un homme aura autant marqué de son empreinte l’époque qu’il a traversé, à grandes enjambées prophétique, tel un « athlète de Dieu ». Le Pape venu de l’Est aura d’abord été un inlassable combattant des droits de l’homme : à tous les points du globe, il n’a jamais hésité à empoigner fermement les micros pour clamer qu’aucun système ne mérite qu’on lui sacrifie l’homme. Ni le communisme qu’il aura affronté avec détermination jusqu’à l’écroulement du mur de Berlin ; ni le consumérisme libéral qui étouffe l’humanité dans les filets de son matérialisme et dont Jean-Paul II aura, jusqu’à la fin, dénoncé la « culture de mort ».
Carol Wojtyla aura ainsi incarné hautement la figure d’un croyant qui, parce qu’il est disciple du Christ, ne se désintéresse pas de la société des hommes mais au contraire en fait le lieu même de la Révélation. Si « croire, c’est agir », Jean-Paul II aura su faire de l’action en faveur de l’homme – au travers de ses voyages, de ses discours, de ses rencontres – une véritable « théophanie ».
Dans l’Eglise, ce Pape aura su également faire souffler un vent spirituel nouveau : face à la montée de l’indifférence religieuse dans les pays occidentaux, au vieillissement des communautés chrétiennes confrontées à la baisse des « vocations », il aura su lancer un vibrant « N’ayez pas peur ! », invitant notamment les laïcs à s’engager. Réaffirmant, contre vents et marrées, le cœur de la foi au Christ, se faisant chaque jour davantage homme de prière, véritable « orant planétaire »...
Jean-Paul II fut aussi certainement le premier « Pape des jeunes ». Il inventera les JMJ : journées mondiales d’une jeunesse heureuse d’incarner une foi « moderne », à l’aise dans les « baskets » de la société contemporaine.
Il faudra encore du temps pour mesurer l’empreinte de géant qu’aura laisser Jean-Paul II dans le monde et dans le catholicisme. Cette béatification est une étape féconde.

18.4.11

Lueur de Pâques

Méditation pour une veillée pascale...


Nous voici, Frères et Sœurs, à nouveau rassemblés pour cette grande et belle nuit de la divine espérance !

J’aime les ténèbres provisoires de cette nuit du grand passage où retentit à nos oreilles la grande épopée biblique.

Nuit de la Genèse, nuit de la création du monde,
nuit qui, soudain, se fend comme un fruit mûr
au feu bienheureux du Buisson ardent ;

Nuit qui renonce à toutes ses noirceurs
sous la poigne invincible du Très-Haut
qui agrippe et retient
le bras sacrificateur d’Abraham
et, avec lui, le nôtre,
toujours si prompt à blesser nos amours…

Nuit de la mémoire, nuit qui avive le souvenir d’un peuple fuyant l’esclavage et marchant vers la Terre promise de sa libération.

J’aime, Frères et Sœurs, la marche crépusculaire
des croyants qui croient,
des croyants joyeux et convaincus,
des croyants qui doutent,
des croyants en deuil de leur propre foi,
des croyants en colère contre le ciel,
des croyants qui ne sont pas en règle
avec nos morales si souvent étriquées,
des mal croyants,
de tous les mécréants que nous sommes
et qui forment le peuple bigarré de l’Exode !

J’aime cette nuit pascale où il nous est donné
de croire que l’obscurité n’aura pas le dernier mot, que l’aube de matin de Pâques viendra,
comme un baume, apaiser les blessures de nos vies
et nous faire sortir de tous nos tombeaux !

Je songe, en vous parlant, à une vieille femme qu’il m’a été donné de rencontrer dans un quartier déshérité de Lille.

J’étais venu rencontrer un ami, ancien avocat issu d’une grande famille bourgeoise devenu prêtre, religieux dominicain et aumônier de prison.

Philippe a choisi de vivre en plein cœur de la misère, dans un quartier déshérité où résistent encore à l’appétit des promoteurs immobiliers
quelques maisons de pauvres.

Une vie rude et solidaire aux cotés de ces hommes et de ces femmes qu’on désigne souvent comme
le « Quart monde »
comme si ils n’avaient droit qu’à un quart de vie !

Nous étions, le Père Philippe et moi, en train de nous réchauffer les doigts autour d’un bol de café noir, lorsque soudain, une main gratta le carreau.

Le visage du vieux prêtre s’illumina et il me dit : Bertrand, je vais te présenter ma « princesse ».

Une vieille femme est entrée, le visage marqué par les rudes coups de l’existence.

J’ai su, plus tard, que ses beaux yeux
s’étaient souvent noyés dans les larmes
et les eaux troubles de l’alcool.

Pour oublier peut-être la rage avec laquelle la vie s’acharne sur certains êtres…

Le Père Philippe m’a présenté sa Princesse qui, très vite, m’a invité à l’accompagner.
Nous avons traversé ensemble ce que les gens du Nord appellent une « courée » et nous sommes entrés dans une sorte de remise.

Petite chapelle envahie par le froid.
Petit havre de chaleur cependant où brûle,
jour et nuit, la fragile flamme d’une Présence.

Princesse s’est plantée devant une icône du Christ puis elle s’est tournée vers moi : « tu vois, c’est Lui qui me guérit ! Je lui parle tous les jours et je sais qu’il m’écoute ».
Et puis la vieille femme s’est éclipsée.

Je venais rencontrer le Père Philippe afin qu’il me dise un peu ce qu’est pour lui le mystère de Pâques et j’avais déjà ma réponse, simple, lumineuse !

Une femme blessée, écrasée, toute « cabossée » par la vie venait de me rappeler le cœur du message de Pâques : la Résurrection mène secrètement, mystérieusement parmi nous , en nous, son lent travail d’enfantement et de relevailles.

Oui, Frères et Sœurs, la grande nouvelle de cette nuit de Pâques est qu’en sortant du tombeau, le Christ va nous tirer, avec lui, vers la lumière, et va nous relever.

Qui que nous soyons,
et quelques soit les itinéraires chaotiques de nos vies, que notre foi soit brûlante ou tiède,
que nous soyons des croyants pratiquants
ou intermittents,
l’aube du matin de Pâques,
le grand lever de soleil de la résurrection est - n’en doutons pas ! – pour nous, pour chacune et chacun d’entre nous
car Dieu vient nous changer le cœur,
vient nous repeindre l’âme,
vient nous ouvrir enfin à la grande fraternité des filles et des fils du Très-Haut !

L’écrivain Georges Bernanos à qui l’ont demandait un jour ce qu’est la foi chrétienne eut cette superbe réponse :

« La foi ? C’est 24 heures de doute moins une minute d’espérance » !

Eh bien, Frères et Sœurs, Pâques, c’est cette bienheureuse « minute d’espérance » où il nous est donné de croire que tout est encore possible,
que nos existences, quelles qu’elles soient, peuvent se remettre debout.

Vivre le grand passage de Pâques, c’est choisir enfin – comme le peuple hébreu fuyant l’esclavage égyptien - la liberté, trouver un sens, une direction à notre vie, sortir des tombeaux meurtriers de notre matérialisme,
briser la course au « fric », au pouvoir, à l’écrasement de l’autre,
à l’exploitation de l’homme par l’homme,
arrêter la lente asphyxie de notre indifférence assassine,
rouler enfin la pierre qui pèse sur notre cœur
et l’empêche de battre aux rythmes de l’amour !
Au rythme même du cœur de Dieu !

Pâques, c’est le temps béni où nous pouvons enfin nous risquer à devenir ce que nous sommes :
des marcheurs, des nomades, des aventuriers de l’âme,
des hommes et des femmes,non pas assis et le cœur rassis comme du pains sec,
mais des filles et des fils du Dieu de la joie et de la tendresse,
les yeux rivés sur la Terre promise de notre propre Résurrection !
Le regard tourné vers un monde, une humanité qui, impatiemment, attend qu’on lui indique une Source !

« Vous tous qui avez soif, venez, voici de l’eau » !

6.4.11

Citation du jour

Ces temps-ci, cette réflexion de l'ancien archevêque de Poitiers me parle particulièrement. Les amis comprendront... Bonne marche vers l'aube du matin de Pâques !

« Les périodes de rigidités sont toujours des périodes d’insignifiance. »

ALBERT ROUET
(Extrait de "J'aimerai vous dire", un très bon libre paru chez Bayard Editions)

13.3.11

Carême: temps de cendre et de braise...

Nous voici, une fois encore, au bord de la cendre...
Le feu a soufflé ses braises.
L’obscurité des jours, soudain nous marque au front.
Le sable du désert est gris et froid comme un tison.
Les marches de nos escaliers, voici qu’elles se creusent sous le poids et l’usure des heures sans aurore..
L’hiver, sans crier « gare ! », s’est attardé.
Un vent glacé qui passe sous le seuil de nos âmes pour mieux les engourdir.
Et l’Eglise qui veut nous réchauffer, n’a rien trouvé de mieux qu’un mince soleil de cendre au-dessus de nos yeux !
Nous qui, aux instants de fragiles espérances, nous prenions pour des filles ou des fils de Roi, nous voici soudain comme réduit en poussière.
Mais quel est donc ce Dieu qui nous tire vers le haut et qui, du même mouvement, nous rappelle nos tombeaux. ?
La cendre est comme le sang au linteau de l’Exode, comme les miettes éparses d’un pain sans sel ni levain, comme une herbe amer, un rameau calciné qui déjà nous annoncent notre marche au désert.
Le sable est comme un lac où se mire le « dès-être ».
En lisière du regard la cendre implacable, nous dévoile tous nos aveuglements.
Brûlure d’un feu éteint, blessure vive au fronton d’un visage si peu transfiguré.
Icône calcinée de l’éternelle Présence, victime de tous nos incendies.
Et le psalmiste implore, et il nous faut l’entendre malgré nos surdités :
« Sur ton serviteur, que s’illumine Ta face ». (1)
Carême ? Saisissante découverte que la demeure est vide, ou si peu habitée. Dieu en nous, mais nous tellement hors de nous !
Carême ? Notre foi qui vacille comme un château de cendres, une croix consumée qui s’abat comme un arbre.
Carême ? Instant de vérité où le désir en nous, soudain, mesure ses fatigues.
Et nous voici, traînant nos pauvres incroyances.
Dieu qui se fait lointain et vers qui, pourtant, il est temps maintenant, sans crainte, de marcher.
Car « quiconque marche dans les ténèbres sans voir aucune lueur, qu’il se confie dans le nom du Seigneur, qu’il s’appuie sur son Dieu. » (2).
Quarante jours de feu pour oser avouer que le « je » est fragile, qu’il a besoin d’un « Autre » pour se mettre à genoux, la seule et belle posture qui le mènera debout.
Quarante jours pour avoir faim et soif de l’indicible force qui, au matin de Pâques, viendra fendre la mort.
L’Apôtre qui tomba et perdit pour un temps le regard, se fît plus tard prophète et visionnaire : « La puissance se déploie dans la faiblesse » (3).
Ce qu’au fond de son cloître une humble carmélite sût cueillir en son cœur comme une brassée de roses :« Plus on est faible, sans désirs ni vertus, plus on est propre aux opérations de cet Amour consumant et transformant » (4).
Croire, contre toute logique, que la braise et le feu peuvent naître de la cendre.
Marcher résolument, joyeusement vers les aridités fécondes d’un Carême intérieur avec cette certitude en forme de promesse : « Jésus viendra nous chercher, si loin que nous soyons, il nous transformera en flamme d’amour » (5).

1) Psaume 30, 17
2) Isaïe 50,10
3) 2 Co 12, 9
4) Thérèse de Lisieux, lettre 197
5) Id.

8.3.11

G.P.S. pour temps de Carême


« Ecouter ce que les eaux vives
de notre désir
ont à nous révéler
de notre soif intime. »



Prendre, entre ses doigts, un peu de cendre sur la margelle d’une cheminée encore frémissante ; sentir la tiédeur de la suie, ne pas craindre de se salir, se signer doucement comme on marque d’huile sainte le front d’un baptisé, laisser, comme un onguent, la trace sableuse du feu endormi pénétrer la peau, au plus profond…
On dit que les mystiques – qui sont aussi poètes ! – croient que la cendre est le meilleur des baumes sur les brûlures de l’âme…

Agripper l’échelle de meunier qui grimpe jusqu’au grenier de notre cœur, refermer un instant la trappe sur la rumeur du monde, demeurer seul, entre ciel et terre, laisser l’assourdissant silence de la divine présence prendre possession peu à peu de l’espace. Ouvrir le vasistas sur un carré d’azur, humer l’air frais, respirer la brise légère, souffle imperceptible de l’Esprit qui plane sur nos vies….
On dit que les mystiques – qui sont aussi poètes ! – croient que la vie spirituelle consiste, à chaque seconde, à inspirer à plein poumon le grand vent de la Parole…

S’arrêter de courir, oser s’asseoir au seuil du puits de notre propre désir. Ecouter ce que ses eaux vives ont à nous révéler de notre soif intime. Décider de ne rien décider, laisser notre fragile existence se laisser porter par les courants éternels. Se laisser enfin guider par Celui qui, seul, connaît le cap. Ne plus s’appartenir, tenter de se poser – et de se reposer – entre Ses mains…
On dit que les mystiques – qui sont aussi poètes – croient que pour croire il suffit juste de laisser la terre ocre de nos vies s’imbiber de cette eau vive dont le grand Potier se serre pour, de ses mains douces et rugueuses, nous façonner comme un vase d’argile…

Marcher vers la montagne et ses sentes oubliées ; s’écorcher les mains, le cœur et l’âme à la roche des passages difficiles, pleurer ce qu’il y a à pleurer, vider la rancune, assécher les regrets pour laisser place à l’indicible espérance, oser franchir le col escarpé du grand pardon et, tout à coup, devant l’infini beauté de la création, rendre grâce et chanter la joie de croire, plus forte que l’épaisse suie qui, si souvent, nous aveugle !
Les mystiques – qui sont aussi poètes ! – n’arrivent pas à ne pas croire depuis des millénaires, que, sous la cendre la plus noire et la plus froide, le feu couve et demeure, le grand feu, l’immense brasier qui dévore les madriers mal équarris de nos croix.

« J’aime les mystiques, dit Dieu, qui croient, envers et contre tout, à l’incroyable aube ténue du grand matin Pâques ! J’aime leurs yeux de poètes, dit Dieu, qui, au travers des troncs calcinés des blessures humaines, devinent déjà les buissons ardents du grand printemps de l’Esprit ! »

23.2.11

Regain de foi ?

Le site internet "Féminin Bio" (cliquer sur le titre "Regain de foi ?" pour aller vers ce site) m'a posé quelques questions. Voici mes réponses !



Peut-on dire qu'il y a en France et à l'étranger un regain pour la foi quelle qu'elle soit. Pourquoi ?

Il y a de toute évidence la ré-émergence d’un questionnement spirituel fort. Cette interrogation contemporaine ne rejoint pas nécessairement une « foi » au sens où les religions emploient ce terme. L’homme moderne étouffe dans le matérialisme, il ne croit plus aux grandes idéologies ; plus que jamais il est seul face à la question du sens de sa vie, celle de la souffrance, de la mort... Alors il cherche : vers les religions, vers les sagesses ou philosophies orientales, aussi vers tout ce qu’on appelle aujourd’hui le "développement personnel". Il y a une quête intérieure évidente : mène-t-elle uniquement à soi, son ego, son bien-être ou ouvre-t-elle à une transcendance ? S’agit-il simplement d’aller mieux ou de faire la rencontre du Dieu « tout autre » ? C’est la grande question. Cette analyse vaut pour les pays occidentaux. La question spirituelle ne se pose pas du tout de la même manière dans les pays émergeants et dans d’autres cultures où la foi fait encore totalement partie de la mentalité. On l’a vu après la catastrophe haïtienne où, loin de se révolter, la plupart des gens se sont tourné vers le ciel pour prier… Les journalistes occidentaux ont été très surpris par cette attitude !

Qui sont les croyants d'aujourd'hui ? A quoi aspirent-ils ?


A part une minorité qui voit la religion comme un rempart contre la décadence et une « contre-culture » contre la modernité (réflexe identitaire que l’on trouve dans toutes les religions et qui alimente malheureusement les extrémismes), les croyants d’aujourd’hui sont, dans les pays occidentaux, des hommes et des femmes « comme tout le monde » ! Ils cherchent le bonheur, ils cherchent à faire l’unité de leur vie (familiale, professionnelle, spirituelle…) Ils sont en quête de raison de vivre. Leur démarche est une démarche davantage interrogative qu’affirmative. Ce sont des « chercheurs de Dieu », pas des militants de la certitude. Parmi eux, des hommes et des femmes se reconnaissent dans le message de Jésus de Nazareth. La totale unité de cet homme les amène à penser qu’il est de filiation divine. Le catholicisme connaît actuellement un regain étonnant : plus de 3.000 adultes (qui n’ont souvent reçu aucune éducation chrétienne) demandent chaque année à être baptisé. C’est un signe fort !

Les préoccupations environnementales pèsent de plus en plus dans notre quotidien, quelle place l'écologie tient-elle dans la foi ?

L’Eglise catholique milite pour la « sauvegarde de la création ». La terre créée par Dieu est confiée à l’homme qui doit la préserver et non pas la mettre à son unique service. Depuis 25 ans, l’Eglise, au travers de ses déclarations officielles et des discours des papes, a pris clairement position pour une démarche écologiste : il faut sauver la terre car les catastrophes écologiques mettent en danger la création et risquent de pénaliser en priorité les plus pauvres…

Les écologistes (Nicolas Hulot) sont-ils les nouveaux prophètes en se posant comme les "gardiens" du vivant ?

Le prophète, dans la Bible, est celui qui vient dire aux hommes – généralement sourds ! – un message important de la part de Dieu. Ainsi le prophète Jonas tente de sauver la ville de Ninive de la déchéance. D’une certaine manière, le désastre écologique actuel ressemble à la Ninive biblique. Dieu a souvent recours à des « grandes gueules » qui clament haut et fort quelques vérités urgentes. Mais les prophètes sont le plus souvent critiqué et ne font généralement pas un très bon audimat !

On parle beaucoup d'écologie intérieure. Cela est-il l'expression d'un vide spirituel ?

De même qu’il faut « nettoyer » la planète de tout ce qui la pollue, de même, il y a urgence à faire un grand « ménage intérieur ». L’homme moderne vit continuellement à la surface de lui-même, il est, au sens propre du terme, « hors de lui ». Le philosophe Pascal mettait en garde contre ce qu’il appelait le « divertissement » (pas les loisirs, qui sont bons !) mais cette faculté de ne pas entrer en dialogue avec soi, de se laisser divertir continuellement par la musique, les images, les sons, les loisirs standardisés… L’espace du silence ne cesse de se réduire. Le paysan dans ces montagnes était presque « contraint » de méditer », l’homme moderne a les moyens techniques de se « zapper » continuellement lui-même. S’il n’y a pas de « vide » en soit, Dieu ne peut pas trouver sa place ! Souvent notre cœur ressemble à cette « auberge » surbookée où il n’y a pas de place pour accueillir la naissance du Christ…

Les femmes, porteuse de la vie, ont-elles, selon vous, un rôle singulier à jouer dans la sauvegarde de notre espèce, dans la protection du vivant ?

« La femme est l’avenir de l’homme » chantait Aragon. Quelle grande vérité ! En matière spirituelle, le christianisme a compté de très « grandes dames » : Thérèse d’Avila, Thérèse de Lisieux, Madeleine Delbrêl… Les femmes savent mieux que les hommes le prix de la vie. C’est par une femme que le Christ est venu au monde et les premières personnes à « voir » le Ressuscité au sortir du tombeau le matin de Pâques sont… des femmes. La foi est une question trop important pour être confiée aux seuls hommes !


Quel regard le diacre et rédacteur en chef que vous êtes porte-t-il sur l'écologie ?


Le diacre est celui qui, dans l’Eglise, a le souci des pauvretés. Le combat écologique est une arme contre les pauvretés. J’aspire à ce que la question écologique prenne de plus en plus de place dans le débat politique. Le journaliste peut, au travers de son métier, contribuer à cette sensibilisation de l’opinion.

Benoit XVI est il un Pape "Green" ?


Lors de la Journée mondiale de la paix en 2008, Benoît XVI a insisté sur l’urgence écologique. Le pape n’a pas caché sa préoccupation pour la spoliation de leur environnement subi par de nombreuses régions de la planète du fait de l'action de l'homme, et d'une façon qui compromet sérieusement l'écosystème. A partir de cette prise de conscience, le pape invite les hommes de toutes les latitudes à se mobiliser pour défendre la terre, « maison commune » de l'humanité.

Quels rôles les chrétiens ont ils à jouer pour préserver la vie sous toute ses formes ?

Les chrétiens n’ont pas un « rôle » spécifique à mener. Ils doivent s’engager aux côtés de « ceux qui croient au ciel et de ceux qui n’y croient pas » ! Avec, dans le cœur, cette conviction : chaque homme, chaque femme, chaque enfant est sacré car il porte Dieu en lui…

Quel saint pour vous a œuvré le plus pour la protection de la planète ?

François d’Assise. Son « Cantique de la Création » est un vrai manifeste écologique !

Pensez vous que la plus belle énergie renouvelable soit l'espérance ?

Jolie formule ! L’espérance c’est ce qui reste même lorsqu’il n’y a plus d’espoir. L’espérance chrétienne repose sur cette certitude que Dieu nous aide et nous sauve…

Si vous aviez une prière à prononcer pour notre chère Terre, quelle serait-elle ?

La prière de Saint François : « Loué sois-tu, Seigneur, pour notre mère la Terre qui nous porte et nous nourrit. Elle produit la diversité des fruits et les herbes et les fleurs de toutes les couleurs ! »

Enfin, Jésus est-il le premier écologiste ?

Jésus est celui qui vient habiter la terre pour nous aider à la sauver

6.2.11

T.P.M.G !!!

A l'occasion du 50ème anniversaire du CCFD

Il y a la faim, la vraie, celle qui creuse le ventre, qui, sournoisement, commence par étourdir, par annihiler toute pensée, qui obsède et entraîne dans sa spirale infernale…
Nous sommes sans doute peu - qui lisons ce journal- à l’avoir éprouvé.
Nous l’avons vu à la télévision « là-bas », à l’autre bout de la planète, observé sur le papier glacé des reportages de nos magazines, nous l’avons parfois croisé sur un trottoir ou dans un couloir de métro, peut-être à l’occasion d’un voyage touristique dans un de ces pays « idylliques » qu’on appelait autrefois le « Tiers-monde ».
Nous avons sans doute été émus, bouleversés, nous avons peut-être versé notre obole à une œuvre caritative contre un reçu fiscal. Les plus militants d’entre nous ont signé une pétition, tenté de faire pression sur les politiques… D’autres ont donné un peu de leur temps à une soupe populaire, à un « restau du cœur »…
Les plus croyants ont essayé de prier, de supplier le ciel de changer enfin le cœur de l’homme…
Toutes et tous, nous avons été sincères dans notre révolte mais conscients aussi de notre impuissance. La mauvaise conscience nous a, un instant, perturbé. Et puis nous avons repris le cours de notre vie avec ses urgences, ses obligations.
Que faire ? Comment se battre contre tant de souffrances ? Comment partir en guerre contre un ordre mondial dont le seul credo semble être le profit, l’argent roi, le « toujours plus », le « TPMG » (« Tout Pour Ma Gueule ») ! Le fric, toujours le fric, qui pue bien davantage que la misère ! Feuilleton à vomir de l’actualité où de riches héritières se déchirent faute de savoir quoi faire de leur phénoménale fortune. Impudeur sordide des patrons qui, sans vergogne, s’augmentent en pleine crise. Un crack boursier, un effondrement bancaire mondiale et les naïfs qui pensaient qu’enfin les choses aller changer ! Mais le « Monopoly » planétaire reprend sa frénétique « Roue de la fortune »…
Oui, que faire contre un système injuste à en hurler, une machine infernale que plus personne ne semble contrôler, où les plus riches s’enrichissent toujours davantage et où les plus pauvres continuent de dégringoler ? Comment rétablir un peu de parité entre le Nord et le Sud, entre ceux qui ont tout et ceux qui n’ont rien ?
Si on osait, on emploierait bien deux mots vieillots, « ringards », inconvenants, presque sorti du dictionnaire : morale et politique.
« C’est à un examen critique que nous vous convions(…) La crise actuelle met en lumière les inégalités et l’insécurité d’un grand nombre. Nous sommes appelés à nous montrer solidaires sans plus tarder.. » Ces lignes n’ont pas été écrites par un front révolutionnaire. Elles sortent de la plume… des évêques de France, en 1982, dans une déclaration retentissante intitulée « Pour de nouveaux modes de vie ».
La situation catastrophique de la planète où la faim de nourriture, d’école, d’emploi, de dignité dépasse l’entendement requière que nous passions d’urgence, aux travaux pratiques ! Des associations comme le Secours catholique, ou le CCFD (qui fête son cinquantième anniversaire) peuvent nous y aider…
Une vie spirituelle qui ignorerait morale et politique ne serait tout simplement pas chrétienne …

15.1.11

A l'occasion de la "Journée mondiale du Migrant et du Refugié"

Dimanche 16 janvier 2011



C’est aujourd’hui, frères et sœurs, la « Journée mondiale du migrant et du réfugié ».
Le pape nous invite avec insistance à réfléchir à notre attitude, non pas « face » au migrant mais « avec » lui. Benoît XVI a choisi pour thème de cette journée : « Une seule famille humaine ». Il s’agit de laisser résonner dans notre cœur cette parole évangélique : « Qu’as-tu fait de ton frère ? »

S’il me prenait l’idée de réaliser ici, en direct, un petit sondage, nul doute que se dégagerait une majorité écrasante pour considérer que l’accueil de l’étranger est une grande et belle valeur chrétienne.

Je crois que nous serions assez vite d’accord sur ce beau principe rappelé par le concile que je cite : « tous les peuples forment une seule communauté ; ils ont une seule origine, puisque Dieu a fait habiter tout le genre humain sur toute la face de la terre ».
Mais, si nous commencions, frères et sœurs, à discuter autour d’une table de la présence des étrangers dans les quartiers, dans les banlieues, au travail, dans le métro; si nous abordions la question de l’expression publique et visible de leurs coutumes et de leur religion, il y a fort à parier que les débats deviendraient vite passionnés et que des divergences se feraient assez vite jour entre nous.

Nous avons toutes et tous en mémoire la polémique de cet été autour de la question des « Roms ».
Certains évêques – dont le nôtre – ont pris publiquement position pour rappeler le respect de la dignité due aux étrangers.
Ils ont été applaudis par certains, et un peu « sifflés » par d’autres. Je sais que certains catholiques ont fait savoir à Eric Aumônier qu’ils n’étaient pas d’accord, qu’un évêque n’avait pas à faire de « politique » et qu’il n’avait pas grand chose à faire dans un camp de Roms sous les caméras de télévision.
Un sondage pour La Croix de l’institut CSA réalisé en août, juste après les évènements, indiquait que 55 % des catholiques soutenaient les expulsions des Roms.

Preuve d’un vrai malaise, d’un débat davantage passionné qu’argumenté, révélateur d’une peur de l’étranger qui ne cesse de se développer en Europe. Violences racistes en Italie, score croissant de partis nationalistes plus ou moins ouvertement xénophobes dans plusieurs pays…
Lorsque le cardinal Tarcisio Bertone, « ministre des affaires étrangères » du Pape affirme avec force que « tout migrant est une personne humaine qui possède des droits fondamentaux inaliénables » tous les chrétiens sont « pieusement » d’accord.

Pourtant, lorsque les langues se délient, on entend dire de plus en plus souvent : « les beaux principes éthiques, c’est bien, mais il ne faut pas non plus être naïf ».


Entonnant le refrain « on ne peut pas accueillir toute la misère du monde » - ce qui n’est pas faux ! - , des catholiques expriment de plus en plus ouvertement, comme le reste des français, leur anxiété face à d’autres cultures, traditions, religions, modes de vie...
On l’a vu dans le débat piégé autour de l’identité nationale…

« La peur fait parfois perdre tout sens critique, écrivait le cardinal Ricard, en septembre dernier. L’homme qui a peur ne parle plus, il aboie. J’ai été choqué, continuait l’archevêque de Bordeaux, de la violence avec laquelle ces problèmes humains ont souvent été abordés. Or le Christ Ressuscité vient nous libérer de la peur. Il nous donne la force de risquer la rencontre avec l’autre. En rappelant cela, l’Eglise ne fait pas de politique, elle témoigne simplement de la puissance et de l’exigence de l’Evangile ».

Notre évêque, lui aussi, rappelait avec force la doctrine sociale de l’Eglise en matière d’accueil de l’étranger :
« Il y a des devoirs humains non négociables envers le prochain et au manquement desquels il nous faudra toujours réagir : pourquoi les étudiants étrangers ne trouvent-ils pas de logement ? Est-il acceptable d’oser demander à des Roms ou à des gens du voyage de partir ou de brûler leurs caravanes. Doit-on accepter qu’existent des hôtels recevant des émigrés où ne fonctionnent ni l’eau ni le chauffage ? Doit-on laisser attendre dehors pendant des heures, bien avant la levée du jour, des demandeurs d’asile espérant obtenir un rendez-vous ? Et quand on vient arrêter quelqu’un pour le reconduire à la frontière, doit-on prendre moins de gants qu’on ne le fait avec un escroc de haut vol ? Poser ces questions et chercher à les résoudre n’est ni de droite, ni de gauche. C’est simplement humain et chrétien ! » concluait Eric Aumônier.

Alors charité ou naïveté ?
Fraternité ou réalisme ?


Depuis des siècles et des siècles, les chrétiens, avec la Bible, affirment que l’accueil de l’étranger n’est pas matière à option.
Le peuple hébreu lui-même, fut étranger en Egypte ou à Babylone.
Et le christianisme s’est répandu dans le monde par « migration » de ses disciples…

Comme l’affirme Mgr Pontier : « il y a des pages de la Bible que l’on ne peut arracher ! »

Le phénomène migratoire est devenu mondial, il est même inhérent à la mondialisation. Nos sociétés veulent filtrer les flux humains en fonction de leurs besoins ; elles peinent à intégrer les générations nées sur leur sol de parents venus d’ailleurs.

L’Eglise catholique, s’appuyant sur le trésor de sa « Doctrine sociale » refuse d’aborder la question des migrants d’abord comme un « problème », encore moins comme une menace ».
Sans naïveté, elle sait bien que les migrations sont une réalité complexe, aux conséquences parfois difficiles, voire dramatiques, mais l’Eglise affirme cependant que les migrations peuvent aussi être une chance, une situation où l’espérance et la fraternité sont possibles.
Il ne s’agit pas d’abord de « dévisager » l’autre qui ne me ressemble pas, il s’agit d’envisager un avenir commun avec lui !

Cela suppose de notre part, loin des réactions affectives passionnées et à fleur de peau, de prendre le temps de travailler un peu la question. Je vous propose quelques pistes :
- comment puis-je mieux saisir et approfondir les causes des migrations, dans le contexte de la mondialisation et de la construction européenne ?

- quelle conscience ai-je réellement du déséquilibre entre le Nord et le Sud, que sais-je des raisons économiques de ce déséquilibre entre les pays pauvres et les sociétés plus riches.
- Au-delà des réflexes de peur, que sais-je réellement des chiffres des migrations : selon une récente étude, le nombre des migrants ne dépasse pas 3% de la population mondiale…

- En tant que citoyen, électeur, comment je pèse sur les choix politiques, de droite comme de gauche, afin que sans angélisme, avec réalisme, des solutions soient effectivement mises en place pour que la France reste une terre d’asile, une terre d’accueil fidèle aux grandes valeurs de la République ? Et que lorsque cet accueil n’est pas possible, la dignité humaine soit respectée. Comment est-ce que j’use ou je n’use pas de ma liberté d’indignation ?

- Comment puis-je nourrir ma réflexion sur l’accueil de l’étranger à l’écoute de la Bible, de la pensée sociale de l’Eglise, des grands textes des Papes en la matière ?

- Comment, si je suis parents, puis-je ouvrir le cœur de mes enfants à l’accueil de l’autre, de l’étranger, du différent ? Comme puis-je l’ouvrir à la richesse de l’étranger plutôt que de mettre insidieusement en lui un sentiment de méfiance ?

- Et dans notre communauté chrétienne, quelles initiatives pouvons-nous prendre pour que très concrètement, l’étranger, celui qui vient d’une autre culture se sente vraiment accueilli, qu’il participe à la vie commune, qu’on lui confie des responsabilités ?

Jean-Paul II reconnaissait « le droit à émigrer ». « L’Eglise, disait-il en 2001, reconnaît ce droit à tout homme, sous son double aspect : possibilité de sortir de son pays et possibilité d’entrer dans un autre pays à la recherche de meilleures conditions de vie. »
Et le Pape, loin de toute naïveté ajoutait : « Les Etats ont le droit de réglementer les flux migratoires et de défendre leurs frontières, en garantissant toujours le respect dû à la dignité de chaque personne humaine (…) Il faut concilier l’accueil qui est dû à tous les êtres humains, spécialement indigents, avec l’évaluation des conditions indispensables à une vie digne et pacifique avec les habitants originaires du pays et pour ceux qui viennent les rejoindre ».

Voilà une belle « terre de mission » pour nous autres chrétiens qui avons, sans complexe, et sans naïveté, à faire entendre nos valeurs au cœur de la société où nous vivons. Comme l’affirme Jérôme Vignon, Président des « Semaines Sociales », « L’Eglise doit se faire entendre et donner du courage à la politique. »
La charité n’est pas une conséquence morale de la foi. Elle constitue le cœur même de la foi.

Jésus a dit : « J’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ».
Jésus n’a pas dit : « J’étais un étranger avec des papiers en règle, une culture et une religion assimilables, une bonne santé et de bons diplômes et vous m’avez accueilli ! »

Laissons le dernier mot à St Jean :
« Celui qui dit j’aime Dieu et qui haït son frère, est un menteur » !


Ps : Un site de l'Eglise catholique pour prolonger la réflexion: http://www.eglisemigrations.org/

8.1.11

A méditer en janvier

« En acceptant d’être sensible, on ne risque de tuer que soi-même, en se durcissant, ce sont les autres qu’on tue.»
Michel del Castillo, écrivain

Fin d'année

Le calendrier achève de jaunir sur le mur de la cuisine. Après un an de bons et loyaux services, il vit ses dernières heures, et s’apprête à rejoindre les vieux papiers pour le feu… Au fronton des mois égrainés se dévoilent, à l’encre délavée, les vestiges d’une année, qu’une fois encore, on n’a pas vu passer : dîners amicaux, impératifs professionnels « à ne surtout pas oublier », réunions de parents, week-end en famille, urgences diverses se mêlent aux rendez-vous chez le dentiste et aux pense-bêtes en tous genres ; il y a aussi les cases vierges, fécondes respirations ou mauvais souvenirs de jours trop vides…
Trois cent soixante cinq journées, autant de nuits et leurs lots de sourire et de larmes, de joie fugace et de coup de blues, de bonheurs âpres et de complicités légères… Douze mois d’une vie qu’on a tenté de vivre au mieux, ou au moins mal… Des milliers d’heures où il y eut de bonnes et de mauvaises nouvelles : annonce d’un mariage, perspective d’une naissance, choc brutal d’un licenciement ou d’une maladie, douleur infinie de voir un ami mourir beaucoup trop jeune, d’assister impuissant à la vague qui s’abat sur sa tendre femme, sur leurs enfants encore à grandir…
La vie qui passe comme un vif éclat de lumière, comme une ardente blessure aussi. Et au milieu de cette mer de secondes, peut-être, comme un minuscule chapelet d’îles, quelques instants fugaces de prière…
Voici que sur les dernières cases de la dernière page du calendrier déjà périmé s’annoncent les « fêtes de fin d’année ». Mais que célèbre-t-on ainsi ? La mémoire des jours heureux ou l’oubli des heures sombres ? La joie de rendre grâce pour le temps souriant qui nous fut donné ou le vain espoir de noyer sous des flots de Champagne ou de mauvais mousseux les minutes chagrines qu’on aurait tant souhaité ne pas avoir vivre ? La fin d’année comme amnésie ou anamnèse ?
Chacune et chacun à notre manière, nous sommes les héritiers de notre propre histoire, du temps que nous avons vécu, tant bien que mal, au cœur de nos fragilités. Cet héritage – actif et passif indissociablement liés – constitue le bouquet terreux de nos racines : il est aussi nos ailes ! A nous de regarder notre propre passé comme le rocher qui écrase Sisyphe ou comme l’échelle qui permet à Jacob de s’approcher un peu de la lumière !
Et si le poids des jours trop lourds d’hier donnait poids, densité, richesse, paradoxale fécondité aux jours à venir ? Et si la pesanteur ouvrait les portes de la grâce ? La croix comme un étroit passage… Et si nos heures, heureuses et moins heureuses, étaient toutes habitées, accompagnées, secrètement tenues par la main de la Promesse qui, pas à pas nous guide sur le sinueux chemin du dur métier de vivre vers l’indicible espérance ?
A la charnière des ans, sur le quai de cette fin d’année, il nous faut, à l’aube d’un nouvel embarquement, nous souhaiter fraternellement d’avoir faim de l’année qui devant nous s’annonce comme une traversée divinement et pauvrement humaine.
Oui, souhaitons-nous fraternellement de nous laisser donner le cap par Celui qui, seul, sait le chemin... L’Eternel n’habite pas le passé : il ne sait conjuguer – avec nous et pour nous – que… le présent du futur !

Noël à hauteur de museau

« L’incarnation se joue toujours à même la glèbe.»

La neige a pris dans son étau les marches de pierre. Plusieurs vigoureux coup de pelle ont fini par ouvrir un passage. En tournant, la clef forgée a fait résonner la voûte. Il a fallu un franc coup d’épaule pour libérer le vantail. L’humidité glaciale a fouetté le visage du visiteur. Etrangement esseulée dans l’ombre froide, la frêle lampe du tabernacle a semblée presque incongrue. Comme si, en partant, le dernier visiteur avait oublié d’éteindre. Ou pas bien su comment s’y prendre. Pas si facile d’interrompre la petite veilleuse du « bon Dieu » !
Reprendre souffle, se poser un instant… Oublier Paris, la fébrilité professionnelle et ses tensions parfois mesquines, les embouteillages, sur l’autoroute et dans le cœur… Quelques secondes à s’asseoir sur les bancs polis par les ans. On dit que ce sont les Chartreux qui les auraient façonnés, que les villageois les auraient soustraits à la spoliation. Harassant périple à dos d’âne par delà le col qui domine le monastère. Solidarité virile des montagnards de l’époque pour qui la foi était aussi affaire de muscles et de sueur…
Enfin quelques jours sans agenda, sans programme, sans image de soi à endosser comme un costume qui gêne aux entournures. On appelle cela le « temps libre », étrange expression qui en dit long sur la manière dont nous habitons nos jours…
Esquisse spontanée d’une prière mutique : rien à dire, tout à entendre; enfin peut-être, si « le grand silence » daigne venir murmurer son secret à l’oreille engourdie de l’âme… Dans sa statue de plâtre bouffée d’humidité, saint Bruno veille…
Combien seront-ils ce prochain Noël dans cette paroisse reculée de montagne ? Cinq, dix, quinze ? Peut importe : Dieu n’est pas un comptable ! Et ceux qui ne viendront pas n’en resteront pas moins aimés du locataire du tabernacle qui toujours préfère une âme bourrue et mécréante à son étroit « placard » recouvert de dentelle défraîchie.
Il a fallut encore batailler avec la serrure de la sacristie : odeur de renfermé et de tissu moisi. Les vieilles frusques liturgiques et tout le saint frusquin du temps d’avant achèvent leur naufrage…
La caisse est là, rangée sans doute par le dernier curé résident ou par une pieuse paroissienne. Il manque une patte à l’âne, et le « petit Jésus » n’est, vu sa taille dépareillée, sans doute pas d’origine. Une pièce rapportée ! « Cela lui va plutôt bien », sourit le visiteur qui commence à installer la crèche désuette au pieds de l’autel. Il faut s’agenouiller sur le parquet usé, se mettre à hauteur de bergers, de brebis bêlantes et d’étable crottée. Noël ne se renifle qu’à hauteur de museau, à raz de foin. L’incarnation se joue toujours à même la glèbe.
Joseph a son air ahuri habituel. Il n’en revient pas de voir sa douce et tendre Marie donner le jour à l’enfant de la divine Promesse. Il est comme nous Joseph : voici que l’ange du Très Haut le presse d’adopter le propre Fils de Dieu !
Vite il lui faut réchauffer – et nous avec lui – son cœur de voyageur exténué comme on ramène un peu d’air dans le chœur d’une vieille église quelque part en montagne, sur la terre des hommes... Noël, parabole de notre avenir !