3.10.10

Méditation pour le dimanche 3 octobre

Quels liens entre notre rapport au temps et notre vie spirituelle ?

27ème dimanche du temps ordinaire (Année C)


J’aimerai, Frères et Sœurs, vous évoquer ce matin le lien qu’il y a entre notre rapport au temps et notre vie spirituelle.

Nous vivons, Frères et Sœurs, des temps de frénésie :
voici que nos heures se font courtes à force d’être gavées d’activités fébriles.

Curieux paradoxe d’une époque prétendument « moderne » où la réussite humaine se juge à l’aune de notre indisponibilité chronique et au débordement compulsif de nos agendas…

Comme si le seul moyen de nous sentir exister
consistait à ne pas avoir le temps de vivre !

Comme si nos essoufflements, notre course quotidienne,
notre « zapping » permanent devant les écrans de la « modernité » étaient la preuve sociale
de notre compétence !

Le stress comme une « légion d’honneur » !

Nous vivons – vous le savez bien, Frères et Sœurs – au triste siècle d’Antigone : « je veux tout, et tout de suite, et je ne supporte pas d’attendre… »

Rêve chimérique de voir se briser au plus vite, entre nos doigts, le goulot de verre du sablier du temps :

voici qu’il nous faut du « très haut débit », des téléphones bientôt greffés directement sur les oreilles pour pouvoir répondre tout de suite,
« en temps réel » dit une bien curieuse expression,
comme si le temps de l’attente était un temps moins réel, moins vrai !

Les lectures de ce dimanche viennent, salutairement, nous rappeler quelques vérités.

On pourrait résumer ces lectures d’une formule choc, un peu iconoclaste :

« L’Eglise n’est pas un « fast-food » » !

Non ! La vie spirituelle ne peut certainement pas se nourrir aux guichets de « restauration rapide » !

Si, comme les apôtres, nous voulons que le Seigneur « augmente en nous la foi », il faut que nous y mettions du nôtre, que nous y consacrions du temps, que nous libérions dans nos agendas, du temps pour Dieu !

Nous dépensons beaucoup d’énergie pour faire des études, bâtir une carrière, gagner de l’argent, obtenir une promotion, exceller dans un sport ou un loisir mais à quel prix !

« La relation avec Dieu est, plus que toute autre, sans défense devant l’ activisme forcené » constate le jésuite Pierre van Breemen.

Bien souvent, nous vivons comme si la foi chrétienne relevait de la « génération spontanée », sorte d’ herbe folle poussant toute seule.

Bien sûr, la foi est grâce, c’est Dieu qui nous la donne.

Mais il nous fait ce don comme un jardinier confierait ses plus belles plantes aux « apprentis » que nous sommes.

« Ce qui doit impérativement être sauvé, dit Francine Carrillo, théologienne et pasteur protestante à Genève, c’est l’ouverture au-dedans, c’est la capacité de nous intérioriser, de travailler à ce que la tradition mystique appelle le cœur profond ».

Voici qu’il nous faut nous sarcler l’âme, biner la mauvaise terre de nos doutes, abonder le sol avec le terreau de la Parole et l’eau vive de la prière…

La foi est un travail. On dit d’une femme qui va mettre son enfant au monde qu’elle entre « en travail ».

Eh bien croire, c’est la même chose. Nous avons à faire grandir et à mettre au monde l’espérance que Dieu à mis en nous le jour de notre baptême.

Saint Paul l’écrit à Timothée : « Je te rappelle que tu dois réveiller en toi le don de Dieu que tu as reçu… »

Marcher à la suite de Jésus, c’est sortir peu à peu des nuits de notre manque de foi, aller vers l’éveil du matin de Pâques, entrer chaque jour davantage dans la conscience d’être les filles et les fils aimés du « Très Haut ».

La vie spirituelle suppose que nous lui ouvrions notre temps.

Il nous faut oser vivre enfin le temps des lentes maturations, des fécondes gestations,
réapprendre à marcher, pas à pas, vers notre humanité,
briser l’enchaînement frénétique du temps trop vide parce que trop plein,
faire, en soi, au plus intime de notre mystère d’homme,
de la place à l’avènement de l’Inattendu.

Car, comme le disait Saint Bernard : « Dieu ne parle pas à ceux qui se tiennent à l’extérieur d’eux-mêmes ».

Il nous faut, pour cela, Frères et Sœurs, laisser du temps à Dieu pour qu’il mette doucement notre cœur sur son tour de potier, pour que, de ses mains de Créateur, il nous façonne l’âme, comme on façonne un vase d’argile pour y mettre un précieux parfum !

Oui, Frères et Sœurs, nous devons veiller à redevenir une argile souple sous les mains de Dieu.

Et cette « souplesse » peut et doit se travailler !

Nous sommes conviés à une « gymnastique de l’âme » qui comporte au moins deux exercices :

- Veiller, c’est d’abord mesurer l’urgence qu’il y a pour nos vies à s’arrêter enfin devant Dieu. Il nous faut trouver, dans nos agendas, du temps « pour rien », du temps apparemment sans efficacité, du temps enfin « gratuit », « vide », un vide que Dieu pourra enfin remplir de sa présence. Veiller, c’est donc d’abord trouver le temps de la prière, le temps de se re-cueillir, de se « cueillir à nouveau », de se laisser cueillir par Dieu.

- Veiller, c’est aussi se faire « bien-veillant » aux êtres et au monde qui nous entourent. Veiller, c’est « sur-veiller » la douleur du monde, comme le lait sur le feu, afin qu’elle ne déborde pas…Veiller, c’est « veiller au grain », faire en sorte que celles et ceux que nous croisons ne « crèvent » pas de faim, de solitude, d’injustice, d’oubli, de racisme, d’exclusion sociale, de manque d’amour…


Oui, Frères et Sœurs, nous sommes conviés à la lutte, au combat, humain et spirituel – en nous et autour de nous – afin de rendre cette terre « divinement habitable » !

Oui, nous n’avons pas de tâche plus urgente que de lutter contre les pesanteurs pour qu’advienne enfin la grâce…

« La durée du monde et de chaque vie est faite pour que nous ayons le temps de laisser Dieu se reconnaître en nous » disait le poète Jean Grosjean…



Amen…