15.11.10

Méditation pour le dimanche 21 novembre 2010

Dieu se dénude…


Le malentendu dura pendant toute la vie publique de Jésus. Opprimé, soumis au joug de l’occupant romain et à la fourberie servile des « collabos » issus de ses propres rangs, le peuple juif attendait un libérateur, un chef de la résistance, un roi puissant enfin capable d’écraser l’ennemi. Et voici que Jésus, celui dont on murmure qu’il serait le Messie, s’avance dans la foule sans arme, ni armée, sans autre pouvoir que l’extrême douceur de son regard, à mains nues ; ces mains où déjà se dessine l’ombre sanglante des clous.

Scandale absolu d’un Messie sans pouvoir, d’un Fils de Dieu pendu au gibet de la croix comme un simple malfrat…

Scandale déjà inauguré à Noël où Dieu naît « sans domicile fixe », pauvre rejeton sans le sou de la lignée de l’illustre David, roi d’Israël.

Chaque année, le dernier dimanche précédant le temps de l’Avent, l’Eglise nous invite à fêter le « Christ Roi ». Mais gare à ne pas nous tromper de royauté ! Le monarque dont il s’agit s’apprête à naître sur la paille ! Ainsi Dieu lui-même, le Très-haut, vient se faire « Très-bas ». La seule manière qu’Il a de prendre de la hauteur, est de venir rejoindre chacune de nos existences à ras de terre, à ras d’humanité. Pour mieux les relever.

Contemplons-le, ce Christ Roi qui vient nous ouvrir les yeux sur tous les souverains usurpateurs et tous les faux royaumes qui encombrent notre cœur. A l’aube de l’Avent, demandons-nous de quel roi, de quel libérateur la terre de notre vie a vraiment soif…

3.10.10

Méditation pour le dimanche 3 octobre

Quels liens entre notre rapport au temps et notre vie spirituelle ?

27ème dimanche du temps ordinaire (Année C)


J’aimerai, Frères et Sœurs, vous évoquer ce matin le lien qu’il y a entre notre rapport au temps et notre vie spirituelle.

Nous vivons, Frères et Sœurs, des temps de frénésie :
voici que nos heures se font courtes à force d’être gavées d’activités fébriles.

Curieux paradoxe d’une époque prétendument « moderne » où la réussite humaine se juge à l’aune de notre indisponibilité chronique et au débordement compulsif de nos agendas…

Comme si le seul moyen de nous sentir exister
consistait à ne pas avoir le temps de vivre !

Comme si nos essoufflements, notre course quotidienne,
notre « zapping » permanent devant les écrans de la « modernité » étaient la preuve sociale
de notre compétence !

Le stress comme une « légion d’honneur » !

Nous vivons – vous le savez bien, Frères et Sœurs – au triste siècle d’Antigone : « je veux tout, et tout de suite, et je ne supporte pas d’attendre… »

Rêve chimérique de voir se briser au plus vite, entre nos doigts, le goulot de verre du sablier du temps :

voici qu’il nous faut du « très haut débit », des téléphones bientôt greffés directement sur les oreilles pour pouvoir répondre tout de suite,
« en temps réel » dit une bien curieuse expression,
comme si le temps de l’attente était un temps moins réel, moins vrai !

Les lectures de ce dimanche viennent, salutairement, nous rappeler quelques vérités.

On pourrait résumer ces lectures d’une formule choc, un peu iconoclaste :

« L’Eglise n’est pas un « fast-food » » !

Non ! La vie spirituelle ne peut certainement pas se nourrir aux guichets de « restauration rapide » !

Si, comme les apôtres, nous voulons que le Seigneur « augmente en nous la foi », il faut que nous y mettions du nôtre, que nous y consacrions du temps, que nous libérions dans nos agendas, du temps pour Dieu !

Nous dépensons beaucoup d’énergie pour faire des études, bâtir une carrière, gagner de l’argent, obtenir une promotion, exceller dans un sport ou un loisir mais à quel prix !

« La relation avec Dieu est, plus que toute autre, sans défense devant l’ activisme forcené » constate le jésuite Pierre van Breemen.

Bien souvent, nous vivons comme si la foi chrétienne relevait de la « génération spontanée », sorte d’ herbe folle poussant toute seule.

Bien sûr, la foi est grâce, c’est Dieu qui nous la donne.

Mais il nous fait ce don comme un jardinier confierait ses plus belles plantes aux « apprentis » que nous sommes.

« Ce qui doit impérativement être sauvé, dit Francine Carrillo, théologienne et pasteur protestante à Genève, c’est l’ouverture au-dedans, c’est la capacité de nous intérioriser, de travailler à ce que la tradition mystique appelle le cœur profond ».

Voici qu’il nous faut nous sarcler l’âme, biner la mauvaise terre de nos doutes, abonder le sol avec le terreau de la Parole et l’eau vive de la prière…

La foi est un travail. On dit d’une femme qui va mettre son enfant au monde qu’elle entre « en travail ».

Eh bien croire, c’est la même chose. Nous avons à faire grandir et à mettre au monde l’espérance que Dieu à mis en nous le jour de notre baptême.

Saint Paul l’écrit à Timothée : « Je te rappelle que tu dois réveiller en toi le don de Dieu que tu as reçu… »

Marcher à la suite de Jésus, c’est sortir peu à peu des nuits de notre manque de foi, aller vers l’éveil du matin de Pâques, entrer chaque jour davantage dans la conscience d’être les filles et les fils aimés du « Très Haut ».

La vie spirituelle suppose que nous lui ouvrions notre temps.

Il nous faut oser vivre enfin le temps des lentes maturations, des fécondes gestations,
réapprendre à marcher, pas à pas, vers notre humanité,
briser l’enchaînement frénétique du temps trop vide parce que trop plein,
faire, en soi, au plus intime de notre mystère d’homme,
de la place à l’avènement de l’Inattendu.

Car, comme le disait Saint Bernard : « Dieu ne parle pas à ceux qui se tiennent à l’extérieur d’eux-mêmes ».

Il nous faut, pour cela, Frères et Sœurs, laisser du temps à Dieu pour qu’il mette doucement notre cœur sur son tour de potier, pour que, de ses mains de Créateur, il nous façonne l’âme, comme on façonne un vase d’argile pour y mettre un précieux parfum !

Oui, Frères et Sœurs, nous devons veiller à redevenir une argile souple sous les mains de Dieu.

Et cette « souplesse » peut et doit se travailler !

Nous sommes conviés à une « gymnastique de l’âme » qui comporte au moins deux exercices :

- Veiller, c’est d’abord mesurer l’urgence qu’il y a pour nos vies à s’arrêter enfin devant Dieu. Il nous faut trouver, dans nos agendas, du temps « pour rien », du temps apparemment sans efficacité, du temps enfin « gratuit », « vide », un vide que Dieu pourra enfin remplir de sa présence. Veiller, c’est donc d’abord trouver le temps de la prière, le temps de se re-cueillir, de se « cueillir à nouveau », de se laisser cueillir par Dieu.

- Veiller, c’est aussi se faire « bien-veillant » aux êtres et au monde qui nous entourent. Veiller, c’est « sur-veiller » la douleur du monde, comme le lait sur le feu, afin qu’elle ne déborde pas…Veiller, c’est « veiller au grain », faire en sorte que celles et ceux que nous croisons ne « crèvent » pas de faim, de solitude, d’injustice, d’oubli, de racisme, d’exclusion sociale, de manque d’amour…


Oui, Frères et Sœurs, nous sommes conviés à la lutte, au combat, humain et spirituel – en nous et autour de nous – afin de rendre cette terre « divinement habitable » !

Oui, nous n’avons pas de tâche plus urgente que de lutter contre les pesanteurs pour qu’advienne enfin la grâce…

« La durée du monde et de chaque vie est faite pour que nous ayons le temps de laisser Dieu se reconnaître en nous » disait le poète Jean Grosjean…



Amen…

21.7.10

Bernard Giraudeau et Dieu

J'ai connu Bernard Giraudeau : nous nous parlions régulièrement. J'ai été témoin de son courage et de sa quêtre spirituelle, belle et pudique. Voici l'entretien que nous avions réalisé ensemble pour Panorama (parution septembre 2007), quelque part près de Fontainebleau, dans son "chalet" au fond des bois... Salut l'artiste !
Conversation

Bertrand Révillion a rencontré…

Bernard Giraudeau :

« Dieu ?
J’aimerai me baigner
dans sa lumière ! »




Acteur de cinéma, écrivain, réalisateur, auteur de contes pour enfants, Bernard Giraudeau est un artiste généreux, cher au cœur du grand public. Atteint par un cancer qu’il a choisi de ne pas cacher, ce voyageur au long court s’est embarqué, depuis la maladie, pour une nouvelle traversée, intérieure et spirituelle…Il vient de publier « Les dames de nage , un beau roman où, derrière le héros, l’auteur n’est pas loin !



Il faut un peu chercher sa maison de bois, cachée au fond de la forêt. D’abord refuge de week-end à quelques encablures de la folie parisienne, cette sorte de chalet, simple et chaleureux, est devenu le quai principal où l’ancien marin devenu comédien accoste dès qu’il le peut. Pour goûter le silence, s’immerger dans la nature et chercher la paix intérieur. En 2000 alors qu’il joue sur la scène d’un théâtre parisien, Bernard Giraudeau ressent une vie douleur au rein. Très vite, il en a l’intime conviction : c’est un cancer qui, deux ans plus tard, se manifestera cette fois au poumon. L’artiste qui dévorait avec frénésie la vie et croquait le succès à pleine dent, décide alors de changer radicalement de cap. Il partage aujourd’hui son temps entre l’écriture et les animations qu’il organise à l’hôpital pour les enfants cancéreux. Et commence désormais sa journée par deux heures de méditation. Ce jour-là, chez lui, sous les grands arbres ensoleillés, la conversation se prolongea longtemps après l’arrêt du magnétophone…







- Bertrand Révillion : L’histoire de Bernard Giraudeau, c’est celle d’un homme pressé. Le « rôle » de votre propre vie se situe quelque part entre « Un homme en colère » et « La fureur de vivre » !

- Bernard Giraudeau : Vous m’avez bien deviné ! Effectivement, j’ai vécu des années avec, au fond de moi, la rage de vivre. Je voulais tout, l’argent, le succès, l’aventure – dans tous les domaines ! –, j’étais dans une boulimie permanente. Je brûlais littéralement mon existence. Je ne sais d’où cela m’est venu ni pourquoi couvait perpétuellement en moi ce feu dévorant. Ce que je sais, c’est qu’un jour je me suis rendu compte que la vie que je menais – pourtant remplies de succès ! – ne me correspondait pas. J’ai eu tout à coup le sentiment de marcher à côté de mon existence, un peu comme on marche à côté de ses « pompes » !

- Parlez-moi de votre enfance…

- J’ai vécu dans la banlieue de La Rochelle dans un univers modeste, une petite maison près de la ligne de chemin de fer. Mon père était très absent. Il était militaire, souvent parti à l’autre bout du monde, d’abord en Indochine, puis en Algérie. Ma mère ne travaillait pas et n’avait, pour seul horizon, que sa maison, son quartier, ses enfants… Une vie ordinaire, pas malheureuse mais un peu terne. Heureusement, j’ai trouvé, enfant, un terrain d’aventure extraordinaire chez les Eclaireurs qui ont su me transmettre l’amour de la nature. Dans cette troupe scoute protestante, j’ai appris à vivre en harmonie avec les grands arbres, les étoiles, l’eau, le feu... Une immersion dont, encore aujourd’hui, j’ai un besoin vital. Je suis de moins en moins capable de vivre en ville. Je ne retrouve la paix que dans le grand silence et la grande solitude de la nature… J’échange sans hésiter une nuit dans un grand hôtel contre la délicieuse insécurité d’un mauvais campement dans une forêt tropicale ou un désert saharien !

- Cette vie « ordinaire » à La Rochelle, vous décidez un jour de la quitter. Un « coup de tête » ?

- Non, plutôt une décision secrètement mûrie. J’avais à peine 15 ans et je m’ennuyais prodigieusement à l’école. Je ne voyais aucune raison de rester assis des heures face à des enseignants qui essayaient de me transmettre un savoir uniquement livresque. J’habitais près de la mer, je voyais les bateaux partir pour les horizons lointains. Je brûlais d’envie d’aller voir ces horizons, et les autres horizons qui se cachent derrière ces horizons ! Très tôt, je me suis dis que la meilleure école pour moi, c’était le monde ! Je me suis embarqué comme matelot sur le « Jeanne d’Arc » et j’ai fait deux fois le tour du monde…

- Qu’avez-vous appris pendant ces deux années?

- La peur délicieuse du voyageur qui pénètre soudain dans une terre inconnue, une culture inconnue, des manières de vivre totalement différentes… J’ai appris à me mettre volontairement au bord du danger, à aller volontairement à la rencontre de situations totalement étrangères à mon propre mode de vie et de pensées… Pour découvrir une terre nouvelle, il faut être très ouvert, très « poreux » et donc très vulnérable et fragile… J’ai aimé passionnément ouvrir, très tôt le matin, les yeux sur des cieux inconnus à l’autre bout de la planète. Plus tard, dans ma vie d’homme, j’ai gardé cette délicieuse habitude de me lever avant l’aube, de laisser ma famille dormir et de m’offrir, dans la solitude bienheureuse des premières lueur du matin, ce secret rendez-vous avec la nature.

- Vous êtes plutôt un solitaire ?

- C’est effectivement un trait de mon caractère. J’aime la solitude, mais une solitude nourrie de la mémoire des rencontres, des visages…. Je ne suis pas un de ces solitaires taciturnes, volontiers misanthrope ! J’aime aussi la vie de communauté, de compagnonnage fraternel, celle que j’ai découvert chez les Eclaireurs, celle que j’ai vécu ensuite avec intensité dans la Marine, un univers militaire où il y a un sens intense de la vie commune.

- Un univers très cadré pour un jeune comme vous !

- Je bataillais ferme contre toute forme d’autorité mais j’en avais besoin ! La Marine m’a effectivement cadrée et m’a, de ce point de vue, plutôt aidé à me construire.

- Après deux ans de tour du monde, vous posez votre sac…

- Retour effectivement à quai où j’enchaîne les petits boulots sans intérêts. Ma vie m’ennuie et je ne sais pas comment nourrir le feu et l’ambition qui couvent en moi. Un jour, des amis me parlent d’une petite troupe de théâtre qui est en train de se constituer à La Rochelle. Je ne suis, alors, pas franchement attiré par ce monde-là. J’ai vu dans mon enfance des « Avares » poussiéreux qui ne m’ont pas vraiment donné la vocation. Je pousse quand même la porte de cette troupe, pour voir…

- La révélation ?

- La chance de rencontrer deux femmes qui vont m’aider à trouver mon chemin : l’une est metteur en scène et l’autre, professeur de danse. J’avais fait le tour du monde, j’étais déjà, malgré mon jeune âge, un grand voyageur et le théâtre m’offre un autre voyage extraordinaire, non plus géographique, mais intérieur. Il me faut apprendre à « voyager » dans la peau de personnages autre que moi. Je me lance alors à corps perdu dans cet univers où je travaille comme un forcené avec beaucoup de passion.

- Endosser le personnage d’un autre, c’est un moyen pour vous de vous mettre en « vacance » de vous-même ?

- Certainement une manière de fuir la question qui me taraude : « qui suis-je ? » C’est la magie du métier de comédien : pendant quelques heures, quelques jours vous est donné la grâce d’être un autre ! Une formidable richesse car, en fouillant ainsi les caractères des autres, on apprend aussi beaucoup sur soi-même. Un risque cependant, celui de se « zapper » littéralement soi-même, de n’être plus, dans une fuite en avant, que la succession des personnages fictifs qu’on habite un moment. A force de s’étourdir ainsi dans un monde fictif, on risque « d’estourbir », de tuer son être réel !

- C’est un risque, le succès ?

- J’étais plutôt doué, j’avais au fond de moi cette mystérieuse alchimie qui me permettait d’être un comédien apprécié, de plus en plus sollicité par le théâtre, le cinéma, la télévision… Alors, bien sûr, j’ai cédé, comme tant d’autres, aux sirènes du succès. Toutes les portes s’ouvraient devant moi : j’étais connu et reconnu, je gagnais fort bien ma vie…

- Enfin comblé !

- Pas du tout ! Bien au contraire ! Je restais totalement insatisfait. Une part de moi-même, la plus enfouie, la plus secrète, me disait déjà que ma vie ne pouvait pas se résumer à tout ce « paraître ». Je savais confusément combien j’étais dans l’imposture…

- Le mot est fort…

- Je vivais dans une sorte de décalage : l’image que ce métier me renvoyait de moi-même ne me correspondait pas et suscitaient agacement, frustration et colère. J’ai accumulé une charge gigantesque de stress. Pour me donner malgré tout bonne conscience de faire ce métier, je travaillais comme un fou, j’acceptais quantité de propositions, au théâtre, à la radio, au cinéma, comme metteur en scène ou comme documentariste. Je tentais désespérément , par la suractivité, d’étouffer la petite voix qui, en moi, m’appelait à autre chose de plus vrai et de plus essentiel. Cette petit voix qui, en fait, me murmurait : « sois honnête avec toi-même, tu n’est pas vraiment heureux dans cette vie-là». Aujourd’hui, lorsque je porte un regard en arrière sur mon existence, je n’ai pas de regret car j’ai eu aussi la chance de vivre des choses formidables. J’ai aussi conscience que ce métier de comédien apporte beaucoup de joies au public. Je ne suis donc pas dans l’amertume : je commence juste à prendre conscience combien « apprendre à vivre », combien marcher vers sa vérité, combien être en paix avec soi-même demande de temps, et combien cette marche est sinueuse et… coûteuse !

- Longtemps, alors que vous étiez « en haut de l’affiche », vous avez vécu avec le mystérieux présentiment qu’il allait vous arriver quelque chose de grave…

- Effectivement, j’ai vécu des années avec l’idée que tout cela allait un jour me « péter à la gueule ». Je ne savais pas comment : accident, dépression, maladie… Lorsque j’étais jeune matelot, dans le bar douteux d’un port du bout du monde, une cartomancienne m’avait dit : « toi, vers 45, 50 ans, t’es mort ! » Je n’étais pas superstitieux mais j’ai quand même voulu « bouffer » la vie au plus vite. Pendant des années, j’ai vécu dans l’urgence et la boulimie d’exister. J’ai couru comme un malade…

- Comme un… « malade » ?

- Et voilà : le mot est lâché !

- Comment avez-vous appris votre cancer ?

- Je jouais « Becket » sur la scène du théâtre de Paris. Nous terminions une tournée épuisante, pleine de problèmes. J’étais fatigué, stressé, j’étouffais. Un soir de novembre 2000, j’ai ressenti une vive douleur au rein. Mais je n’ai pas voulu m’arrêter. Chaque soir, je me faisais une piqure avant le levé de rideau ! J’étais totalement enfermé dans la frénésie. Les douleurs persistants, il m’a donct bien fallu consulter. L’échographie a révélée une masse sombre inquiétante. Le médecin a tenté de me rassuré et m’a proposé de faire une ponction. Mais je savais que c’était inutile : je n’avais pas besoin d’un examen médical de plus. Je savais parfaitement que j’avais un cancer.

- Lorsque le mot est prononcé, le sol se dérobe soudain sous vos pieds ?

- Pas du tout. Je n’ai pas sombré dans le désespoir. J’ai même été envahis d’un grand calme. J’ai immédiatement accepté la maladie.

- Sans révolte ?

- Oui. Je n’étais pas étonné. Je savais depuis des années que quelque chose comme cela allait m’arriver.

- Avez-vous eu le sentiment de vous être « fabriqué » votre cancer, d’en être pour une part responsable ?

- Sur ce point, il faut être très prudent. Une maladie comme le cancer peut sans doute être lié, pour une part, à notre stress, à des traumatismes psychiques liés à nos modes de vie. Mais, avec le même « terrain » biologique prédisposant à un cancer, certains vont développer la maladie et d’autres pas. Le dérèglement des cellules reste très mystérieux. Sans doute avais-je en moi un terrain « fertile » pour ce type de maladie… Sans doute, la frénésie de ma vie a-t-elle « labouré » ce terrain fertile au point de favoriser l’éclosion cancer… Peut-être, mais qu’importe ! Je crois qu’il ne faut pas ajouter la culpabilité à la maladie. C’est inutile, et même dangereux, de se rendre responsable de son cancer, de chercher, coûte que coûte, des explications rationnelles. A quoi bon se dire : « Si j’avais vécu autrement, si je n’avais pas rencontré telle ou telle difficulté dans ma vie, je n’aurai pas le cancer ». Ce qu’il faut, c’est faire un travail sur soi, prendre le temps de réfléchir en profondeur à ce qu’il convient de changer dans sa vie.

- Vous saviez, vous, depuis longtemps qu’un jour, il faudrait changer de vie.

- Oui. Le cancer allait m’en donner l’occasion…

- Comme si l’annonce de votre maladie allait vous permettre, certes dans des conditions dramatique, d’écouter enfin votre « petite voix intérieure » ?

- Oui. Plus tard, après mon opération, un médecin m’a posé une question incongrue que je lui ai fait répété plusieurs fois avant de la comprendre : « quels sont les besoins que satisfait ta maladie ? » J’ai ruminé cette question et j’ai effectivement fini par découvrir que le cancer, de manière tout à fait paradoxale, satisfaisait effectivement certains désirs que, jusque-là, j’avais censuré.

- Par exemples ?

- Je n’étais plus obligé de continuer à jouer une pièce qui m’épuisait. Pas obligé de répondre à toutes les demandes d’ interviews. Plus obligé de courir comme un fou. Plus obligé de rester dans le paraître et la notoriété… J’avais enfin le droit de me reposer, de vivre en paix, de ne plus me préoccuper de ma carrière et de la vaine « gloire » qui m’accaparait tant depuis des années…La liste était longue. Cela peut paraître choquant, mais, effectivement, l’annonce de cette maladie grave me permettait enfin de changer de vie, comme une part de moi-même le réclamait depuis si longtemps. Je pense que mon corps ne m’a pas lâché : il m’a prévenu qu’il était temps de me recentrer sur l’essentiel, de me pencher enfin sur le sens de mon existence et sur l’urgence d’aimer…

- Et vous avez effectivement changé de vie ?

- Oui. Pendant trois ou quatre mois !

- Pas davantage !!!

- Incorrigible, je suis retombé dans le piège, j’ai laissé mon agenda se remplir à nouveau de manière démesurée, je me suis mis à courir à nouveau après le succès. Et plus je cédais à nouveau aux sirènes, et plus j’étais en colère contre moi. Et plus j’en voulais à la terre entière. Je savais que je devais changer de route mais je retombais dans les mêmes ornières. J’acceptais le film que j’aurai dû refuser, l’enregistrement dont je pouvais me passer… Le tourbillon, à nouveau…

- Jusqu’à cette récidive au poumon, il y a deux ans…

- Sans doute avais-je la tête dure ! Il m’a fallu cette seconde alerte et cette nouvelle opération pour, cette fois, m’arrêter enfin de courir ! Ouvrir une nouvelle page de mon existence…

- Qu’êtes-vous en train d’écrire sur cette page ?

- Comment vous dire ? Les mots nous trahissent lorsqu’il faut décrire un voyage intérieur, des paysages intérieurs…

- Diriez-vous que vous vivez une sorte de « conversion » ?

- Si se convertir, c’est changer de route radicalement, si c’est tomber du cheval de ses certitudes, si c’est briser les fausses images de soi-même, si c’est oser marcher sur un chemin nouveau plus vrai et plus intérieur qui mène à la paix… alors, oui, je suis en train de vivre une forme de conversion. Vous savez, je crois que rien de fécond ne se crée dans le bruit et l’agitation. Le cancer a mis tout à coup du silence et de la lenteur dans la cacophonie frénétique de mon existence.

- Apprivoise-t-on l’idée de sa propre mort ?

- Oui. Notre monde occidental a tord de cacher et de nier la mort. Je crois que l’idée selon laquelle notre vie – que nous soyons malade ou pas – aura inexorablement un jour une fin est une idée très… salutaire ! Se savoir mortel est sans doute le plus sûr moyen de se sentir vraiment vivant… Il faut vivre l’instant présent, ne pas remettre son existence à demain… Les moines se lèvent pendant la nuit pour prier. Ils appellent cela, je crois, les « Vigiles ». Eh, bien, nous n’avons pas de tâche plus urgente que d’être « vigilant », que de marcher vers notre éveil…

- Cela fait plusieurs fois que vous semblez dire que cette maladie n’a pas que des effets négatifs sur votre vie. Et je songe à cette phrase que Bernanos fait dire à son « Curé de Campagne » : « Tout est grâce ». Pourriez-vous prononcer cette phrase, scandaleuse, à bien des égards ?

- Oui, sans hésitation. J’ai couru après la paix et le bonheur toute ma vie. Et je n’en ai, paradoxalement, jamais été aussi proche…

- A cause de la maladie…

- Non pas « à cause », mais « grâce à » la maladie ! Je n’ai évidemment pas souhaité ce cancer et si Dieu existe, ce n’est pas lui qui me l’a envoyé comme une sorte d’épreuve. Ou alors c’est un Dieu pervers ! Mais cette maladie m’aide, paradoxalement à découvrir en moi et chez les autres une force insoupçonnée…

- S’il fallait nommer cette « force » ?

- Le mot qui, spontanément, vient aux lèvres de tant d’hommes et de femmes sur cette terre – et qui me vient aussi aux lèvres - est, je crois, le mot « Dieu »… Mais je ne le prononce pas sans hésiter. Les mystiques de toutes les grandes religions préfèrent se taire devant l’ineffable, l’indicible… Le nom de Dieu est imprononçable ! Mais si vous insistez, je peux vous donner trois mot qui lui ressemble : amour, paix, lumière…

- Vous croyez qu’Il existe ?

- Si vous me demandez si je suis croyant, je vous réponds « oui ». Je n’ai jamais été athée. Longtemps, je me suis cru agnostique. Aujourd’hui, je pense être croyant. Je crois à cette force inouïe, à cette lumière, à cette puissance d’amour. Je n’arrive pas à penser cette vie, ce monde, cette univers sans croire qu’il y a « quelque chose » ou « quelqu’un » à l’origine de tout cela. Je sens que cette force d’amour habite en chacune et en chacun de nous et que notre travail est de lui permettre de respirer en nous. Je ne peux pas ne pas croire au mystère car sinon la vie n’a strictement aucun sens !

- Cette force d’amour, vous lui « parlez » ?

- Je m’adresse effectivement à « quelqu’un ». Je lui dit « Tu ». Je prends, chaque matin, un long moment de méditation. J’ai appris quelques techniques yoga. Je travaille la respiration, la position du corps… Méditer, c’est à la fois se recentrer et se décentrer. S’oublier et chercher à se trouver. Ecouter la profondeur de son être et aller aussi à la rencontre de l’Autre qui habite en nous… Méditer m’aide à « faire le vide », à aller vers cette « vacuité mentale », ce silence intérieur, si difficile à obtenir : nous avons perpétuellement un « film » qui tourne dans notre tête et notre cœur et qui nous empêche de nous mettre à l’écoute de l’essentiel…

- Cette Bible, là, sur votre bureau…

- Elle est là, effectivement à portée de main. Je tente de m’en approcher. Peut-être un reliquat de la fibre protestante de mon enfance ! J’avoue avoir un peu de mal avec la violence de certaines pages de l’Ancien Testament. J’aime mieux le Nouveau ! En tant qu’acteur, je suis fasciné par la fantastique « présence » de Jésus, par la dramaturgie de certaines scènes des Evangiles. Certains miracles me touchent. Cette douce confiance de Marie, cette foi, à – presque –toute épreuve, des disciples… Pendant trente ans, le Christ mène une vie ordinaire, presque obscure, et tout à coup, il se passe quelque chose d’inouïe en lui. Quel mystère ! Et quelle fécondité ! Trois ans à arpenter un territoire somme toute assez petit et plus de deux millénaires de foi répandue sur la terre entière…

- Dieu ?

- Une part de moi l’attends et l’espère… même si je vis au beau milieu d’un énorme point d’interrogation ! J’ai conscience de ma pesanteur, je me sens incapable d’aller Le chercher mais Lui peut venir à ma rencontre… Peut-être est-ce même ce qu’Il est en train de faire, en aiguisant en moi cette soif de paix et de connaissance de mon propre mystère. Je n’en sais rien, car nous ne sommes pas dans l’ordre de savoir. Dans le domaine de la spiritualité, il faut sans doute écouter davantage les poètes que les théologiens et les philosophes ! Je crois qu’aujourd’hui, malgré cette maladie, j’ai le cœur suffisamment en paix et « l’oreille interne » suffisamment en éveil, pour essayer d’écouter le mystère… Mais, franchement, je ne saurai vous en dire plus. La question est énorme ! Dieu ? Qui peut répondre avec certitude ?

- Vous aimeriez qu’il existe ?

- Oui. Je ne « sais » pas, mais je fais confiance. J’aimerai pouvoir me baigner dans cette lumière-là…

21.6.10

Mon Père, mon Frère

En marge de l'année presbytérale...

À toi qui parla avec passion à l’enfant que j’étais de cet homme nommé Jésus, je veux dire merci.
À toi qui fus mon aumônier, au collège, aux scouts, au lycée, je veux dire merci.
À toi qui fis découvrir au jeune étudiant le feu de l’Évangile, je veux dire merci. À toi qui célébras notre mariage : merci.
À toi qui fus toujours attentif, lorsque la vie se fit doutes et blessures : merci. À toi qui célébras le baptême de nos enfants, le « départ » d’un parent, présence fraternelle aux grands événements de la vie : merci.

À toi qui choisis d’être prêtre au travail, curé d’une banlieue « difficile », pour offrir une once d’espérance aux O.S. de la vie : merci.
Merci à toi – à vous, tous les prêtres qui croisèrent ma route – d’avoir osé la belle folie de l’Évangile.
Merci, ami curé, d’être cet homme donné à notre petit peuple en chemin.
Merci pour ta prière, tes encouragements, tes saintes colères, ta fatigue, ta patience, tes impatiences, tes homélies lumineuses, tes sermons ennuyeux, ton amitié fidèle, tes blagues de curé, ton « col romain » ou ton « col roulé ».

Merci pour cette vie choisie malgré d’inévitables blessures.
Pudique, tu les évoques peu, mais je sais tes heures de solitude, ces instants où la tendresse d’une femme te manque, où s’avive l’absence d’enfant…
Parfois, tu te dis que ce célibat si fécond pour certains est peut-être trop lourd pour d’autres pourtant habités d’une authentique vocation.
Tu te prends à rêver du jour où le choix sera possible pour les générations qui te suivent.

Je sais aussi combien tu aimes cette Église que tu sers avec générosité, même si parfois elle te blesse par ses lenteurs, ses peurs, ses rigidités, ses retours en arrière. Mais je sais aussi les joies que te procurent ses avancées, ses courages, ses paroles de vie, cette magnifique utopie évangélique qu’elle annonce, à temps et à contretemps, à tous les assoiffés de ce monde.
Je sais tes agacements devant certaines lois ecclésiales que ta fidélité t’invite à respecter, mais qui brisent ton cœur de pasteur devant l’urgence qu’il y a à offrir un visage de compassion à celles et ceux qui souffrent dans leur vie et dans leurs amours.
Je sais combien tu aspires à une Église où le partenariat clercs-laïcs, hommes-femmes, jeunes prêtres-curés plus âgés, évêques-fidèles, Rome-diocèses soit plus confiant. Mais je sais aussi comment, sans te lasser, tu te fais artisan, là où tu es envoyé, de cette confiance, de cette communion toujours à bâtir.

Tu aurais bien des raisons de te décourager, ami curé, dans cette Église occidentale qui se cherche un avenir, que des scandales secouent, mais tu marches sur le chemin au côté de celui qui est la Source et ton cœur brûle à l’écho de sa Parole.
Tu nous accueilles, qui que nous soyons, dans cette Église superbement divine et pauvrement humaine, à bord de cette jeune vieille barque que tu aimes malgré tout. Pour nous, avec nous, tu gardes le cap de bonne espérance car tu sais que la joie nous est promise.
De tes mains surgit le pain pour la route.
Tu es prêtre, mon Frère.
Avec toi, nous sommes l’Église…
Merci !

13.6.10

Méditation pour le dimanche 13 juin 2010

11ème Dimanche du Temps Ordinaire Année C

Nos trois lectures, Frères et Sœurs, se sont données le mot aujourd’hui, pour essayer de nous faire un peu réfléchir à l’attitude que nous entretenons avec la loi, avec la morale…
Il est vrai que notre manière d’envisager à quelle condition peut nous être accordé le pardon de Dieu n’est pas toujours très juste, il faut bien l’avouer.
Nos lectures de ce jour peuvent nous aider à faire un bout de chemin spirituel !

Commençons par cet épisode célèbre mais pas très glorieux de la vie du grand roi David.

David, un soir, alors qu’il se promène sur la terrasse de son palais à Jérusalem, aperçoit une très jolie jeune femme en train de… prendre son bain.
Je vous laisse imaginer la scène…
…enfin, pas trop quand même !!!

Immédiatement, il désire cette femme, la splendide, la douce, la fascinante Bethsabée.
Mais pas de chance, elle est mariée à Ourias le Hittite partit, au nom du roi, faire le siège de l’ancêtre de la ville d’Amman.
David n’hésite pas très longtemps, cède à ses pulsions, envoie paître la bonne morale et séduit Bethsabée.

Mais notre feuilleton biblique se complique lorsque, quelques temps plus tard, la belle tombe enceinte.
Gare au scandale !

David imagine alors un vilain stratagème : il trouve une mission plus ou moins « bidon » pour faire revenir Ourias, le temps d’une permission.
Ainsi, lorsque le guerrier aura passé quelques jours avec son épouse, il sera facile de lui attribuer l’enfant.

Mais, nouveau rebondissement :Ourias, bien qu’il ne soit pas juif, sait que la loi de Moïse impose la continence aux guerriers en campagne. Il refuse donc d’aller chez lui retrouver sa femme.
Le scandale risque d’éclater : l’article dans le « Canard enchaîné » de l’époque se profile dangereusement à l’horizon !

Que faire ?
Je vois à vos yeux, Frères et Sœurs, que vous attendez l’épisode suivant de cette version biblique de « Plus belle la vie » !

Le voici : David renvoie Ourias au front et demande à ses chefs de le placer en première ligne afin qu’il se fasse tuer.
Pas d’autre solution que d’éliminer le mari gênant.

Ce qui, tristement, arrive.
Les délais légaux du deuil passé, David peut enfin installer officiellement Bethsabée au palais et reconnaître l’enfant.

Histoire sordide qu’on croirait sorti d’un mauvais scénario de « série B » mais qui se trouve pourtant en toutes lettres dans la bible, au 2ème livre de Samuel.

Et la morale, me direz-vous ?
Eh bien la voici, dans notre texte qu’il nous faut regarder de près !

Le prophète Natan, parfaitement au courant des turpitudes de son roi, va trouver David.
Habilement, il commence par lui raconter une petite histoire :
« je connais un homme qui, dans une ville de ton royaume, s’est mal conduit. Bien que riche et possédant un important bétail, il a chipé la seule agnelle de son voisin pour ripailler avec ses amis ».
David et choqué et veut immédiatement sévir.

Alors Natan lui dit : « ce mauvais riche, c’est toi ! »

On imagine aisément la scène suivante : poussant son avantage le prophète Natan pourrait passer un « savon » royal à David, le mettre face à son péché, le plonger dans sa culpabilité, lui faire la honte de sa vie…

Eh bien, il fait exactement le contraire !
Avant d’obtenir le moindre regret de David, Natan lui annonce que Dieu ne renie aucun de ses bienfaits !

Il fait la liste de tout ce que Dieu lui a donné et il ajoute même cette phrase surprenante :
«si ce n’est pas encore assez, j’y ajouterai tout ce que tu voudras ».

Voici, Frères et Sœurs, sans doute l’une des plus belles définitions du pardon !

Dieu passe par-delà le péché et l’infidélité de David, Dieu continue d’aimer et de donner.
Natan dit tout cela à David avant qu’il ait le temps d’ouvrir la bouche et d’exprimer le moindre pardon.

Autrement dit, Frères et Sœurs, le pardon de Dieu n’est pas conditionné par notre conduite, par nos actes.
Il est d’avance donné. Ce n’est pas par nos actes – fussent-ils de repentance - que nous sommes « justifiés », c’est-à-dire, comme un instrument de musique, « accordé » à l’amour de Dieu. C’est par grâce, par don gratuit de Dieu

C’est parce que, tout à coup, il se sait pardonné, que David prend conscience de son péché !
Et qu’enfin il se met spirituellement en marche sur un chemin de renouveau.

Autrement dit, Frères et Sœurs, comme souvent avec le Christ des Béatitudes, l’ordre des choses est inversé.

Nous croyons que notre changement d’attitude est un préalable au pardon de Dieu, alors que c’est l’inverse.

Dieu ne met pas de condition à son pardon et à son amour.
Le changement d’attitude n’est pas le préalable au pardon, il en est la conséquence !

Puisque, malgré ce que j’ai pu faire ou dire, Dieu me garde son amour, je ne peux qu’être entraîné, devant un tel amour, un tel pardon totalement gratuit, à changer.

C’est, si j’ose dire, Frères et Sœurs, une « sacré » révolution dans notre conception de la morale !

Saint Paul nous le dit à sa façon très théologique dans notre seconde lecture : « ce n’est pas en observant la Loi que l’homme devient juste devant Dieu, mais seulement par la foi en Jésus Christ ».

Autrement dit : ce n’est pas en obéissant aveuglément à des principes moraux – fussent-ils extraordinaires - que je m’ajuste à Dieu, ce n’est pas en respectant toute une liste de règles qui me rassurent en me faisant espérer être du « bon côté », c’est en prenant conscience de l’amour infini et inconditionnel de Dieu pour moi que je suis amené à changer, à me renouveler.

Dieu aime le premier, qui que je sois, et quoi que j’ai pu faire. La grâce est toujours donnée !

Maurice Zundel, un prêtre suisse qui fut un grand maître spirituel, le dit avec ses mots :

« L’Evangile est une mystique, ce n’est pas une morale. Une morale, c’est une conformité à une Loi. Une mystique, c’est une prise de position en face de Quelqu’un. »

Dans notre épisode évangélique, on voit bien que le pharisien ne comprend rien à ce qui se passe sous ses yeux.
Comment Jésus peut-il laisser une prostituée se comporter ainsi ?
Il devrait la chasser car elle doit d’abord, selon la « bonne morale » pharisienne, commencer par changer de vie avant d’oser se présenter ainsi devant le Seigneur.

Mais c’est justement parce que Jésus ne la chasse pas, que cette femme pleure et lave de ses larmes les pieds du Christ.
Elle a immédiatement compris qu’elle était d’emblée pardonnée, que le pardon de Dieu lui est accordé sans condition préalable.
Cela n’efface pas sa faute. Elle connaît son péché mais elle se sait pardonnée sans condition.
Elle sait maintenant le chemin de conversion qu’elle doit accomplir.

Pour conclure, Frères et Sœurs, je vous invite à ne pas « zapper » la fin de notre passage d’Evangile.
Il est dit de Jésus qu’il était accompagné des Douze « ainsi que des femmes qu’il avait délivrées d’esprit mauvais ».

Ainsi, les pécheurs pardonnés marchent dans le sillage du Christ, sans être condamnés, rejetés, interdits de pardon, exclus de la sainte table de la Résurrection.

A méditer dans notre Eglise d’aujourd’hui, dans notre communauté, dans nos relations avec celles et ceux que nous jugeons et rejetons parfois au nom de la conception souvent étriquée que nous nous faisons de la morale chrétienne.

Blaise Pascal a écrit quelque part :

« La vraie morale se moque de la morale » !

Amen.

2.6.10

Méditation pour le dimanche 6 juin 2010

Saint sacrement du corps et du sang du Christ

Donnez-leur vous-même à manger...

« Donnez-leur vous mêmes à manger ». Nous ne méditerons jamais assez ces mots du Christ dans lesquels se concentre toute notre mission de chrétiens.
La foule est là, en plein désert. Les disciples ont les pieds sur terre : ils savent que les gens ont faim et qu’il est impossible de les nourrir. La meilleure solution est donc de les renvoyer vers les villages alentour. Mais, une fois encore, Jésus les surprend. Contre toute logique, il prétend nourrir la foule. Ou, plus exactement, il affirme que ses disciples vont pouvoir le faire ! Le Christ ne leur donne pas un ordre, mais témoigne une confiance sans limites. Eux s’estiment incapable de répondre aux attentes de la foule. Lui les convainc qu’ils peuvent le faire.
Le véritable miracle n’est pas tant la multiplication des pains et des poissons mais la conversion des disciples qui, poussés, portés par la foi que Jésus met en eux, se découvrent la force de nourrir et d’aimer leurs frères.
Souvent, nous sommes comme les disciples : devant l’urgence de la tâche et l’étendue du champ à moissonner, nous perdons courage. Comment répondre à toutes ces faims et soifs de notre monde ? Seuls, nous ne pouvons pas grand-chose. Mais nous pouvons laisser le Christ décupler, multiplier nos pauvres forces humaines. Il nous faut pour cela nourrir notre propre faim et soif à la table où Jésus nous convie.
Le saint Sacrement ? Meilleur chemin vers nos frères et sœurs !

10.4.10

Méditation pour le Dimanche 11 avril 2010

Dimanche de la Divine Miséricorde Année C

Dieu n’est pas une évidence !

Les disciples ont peur. Ils vivent retranchés, claquemurés, verrouillés. Et leur enfermement, Frères et Sœurs, n’est pas que physique, géographique, matériel ; il est sans doute aussi spirituel.
Le verrou ne bloque pas que la porte, mais aussi l’âme et le cœur !

Comment continuer de croire en Jésus alors que celui-ci vient de subir le plus atroce des supplices ?
Alors qu’il a rendu son dernier souffle, cloué sur l’abject gibet de la croix…
Et s’ils s’étaient tous trompés ?
Et si l’homme de Nazareth n’était pas le Messie annoncé, promis, tant espérés ?
Et si tout cela n’était qu’une jolie fable ?
Voici que le doute s’insinue…

Attitude tellement humaine !

Comme eux, nous subissons régulièrement les vents contraires :

face à la maladie, face à la mort, face aux grandes épreuves de l’existence, devant le désamour, la séparation, le divorce, l’incommunicabilité entre générations, face à une vie professionnelle de plus en plus stressée où la variable « humaine » semble si peu compter, notre foi, parfois, ne pèse pas bien lourd face aux assauts de la désespérance…

Nous sommes alors des croyants qui doutent, des « mal-croyants », autrement dit des « mécréants » !

Et, en cela, nous sommes bien les frères jumeaux de Thomas !

Comme lui, nous cherchons des preuves mais nous ne trouvons bien souvent sur notre route que des épreuves…

Fragilité de notre condition humaine :

Dieu n’est jamais une évidence !

Pas si facile de croire à la Résurrection !

Notre premier réflexe est alors de nous culpabiliser : si nous doutons, c’est que nous ne sommes pas de « bons chrétiens »…
N’oublions pas cependant que notre foi, parce qu’elle est vivante, n’est pas une certitude inébranlable. C’est un chemin de rencontre, une histoire d’amour faite d’instants d’intimité avec le Seigneur et d’inévitables moments de nuit.

Le jésuite François Varillon dénonçait « l ‘irritante attitude qui exclut de la religion l’interrogation, et par là l’inquiétude ».
Et Blaise Pascal affirmait : « Douter de Dieu, c’est déjà y croire. »

Alors, ne nous révoltons pas trop vite contre ce fond d’incroyance qui se terre en nous. Acceptons nos difficultés à croire en Dieu, regardons nos doutes, non pas comme une impasse, mais au contraire comme un chemin de vie, comme la preuve que notre foi est vivante, qu’elle ne se contente pas de réciter son catéchisme, de ne faire du christianisme qu’un conformisme de plus !

Ce doute qui, inévitablement nous assaille, il nous faut apprendre à l’apprivoiser, car, bien loin de nous écraser, il peut devenir pour nous – comme pour Thomas – un sentier de purification de notre foi.

Nous voudrions des preuves, nous aimerions tant trouver Dieu à la sortie d’une belle équation mathématique, au bout d’un magnifique raisonnement.

Mais Dieu ne se prouve pas : il s’éprouve !
Dieu ne se démontre pas : il se dévoile.
La foi n’est pas une évidence, l’existence de Dieu n’est pas une certitude : c’est une rencontre d’amour.

« Dieu révèle ce qu’il est par ce qu’il fait » écrit encore Varillon.

Dès que la religion devient une certitude casquée et armée, elle devient dangereuse ! Elle vire à l’intégrisme, elle transforme les Béatitudes en bombes !

Elle a tôt fait, au nom de la « sainte doctrine », de désigner les mécréants, de condamner les impurs, de critiquer les « liturgiquement incorrects », de juger celles et ceux pour qui la vie est plus chaotique, prétendument moins morale…

Trop de certitude tue la douce certitude de la foi.
Trop de certitude tue et empêche la lente maturation de la foi qui n’est pas une simple adhésion à une doctrine mais rencontre personnelle avec le Christ…

C’est aujourd’hui le dimanche de la « Divine miséricorde ». Etre miséricordieux, c’est avoir l’humilité d’admettre la faiblesse, la sienne, celle des autres, la difficulté qu’il y a à vivre et à croire.

« Seul un moi vulnérable peut aimer son prochain » écrivait le philosophe Emmanuel Lévinas.

Le Christ, voyez-vous, Frères et Sœurs, n’a pas peur de nos doutes, il ne nous les reproche pas, il ne les désigne pas comme des péchés !

Il sait, Lui qui a crié son abandon sur la croix, combien, entre la pesanteur et la grâce, l’espérance et la désespérance, notre cœur est souvent tiraillé, déchiré.

« Chacun porte en soi le trésor de sa sérénité intérieure ou de son découragement » disait Plutarque.

Face à la « blessure de vivre », souvent notre cœur se verrouille, se referme.
Et voici que le Ressuscité vient forcer la porte de notre cœur et y faire lever le grand vent de la paix intérieure !
Osons, malgré notre nuit, tomber à genoux devant lui et lui dire : « Mon Seigneur et mon Dieu ! »
« J’aime les mécréant », dit Dieu ! Amen.

31.3.10

Divine espérance

Méditation pour Pâques

Voici que l’obscurité cède le pas à la lumière !
Voici que l’incroyable espérance se réalise : la souffrance ne gagnera pas, la mort n’aura pas le dernier mot…
Voici qu’un homme surgit du gouffre du tombeau pour nous tendre la main.
Voici qu’en se relevant de la mort, le Christ nous relève par le même mouvement.

Cette nuit est la nuit de la divine espérance, ce matin est le premier matin du monde : nous arrivons avec le poids de nos vies. Nous savons que nombre d’entre nous ne sont pas épargnés par le tragique de l’existence. Chômage, maladie, mort brutale surgissant toujours trop tôt, amours qui ne se disent plus ou si peu, pardons impossibles, claquemurés dans le ressentiment, incompréhensions mutuelles en famille, au travail, entre parents et enfants, solitude…
Nous savons combien la trame de nos vies est –inévitablement – tissée d’obscurité…

La grande, la bonne nouvelle de cette nuit pascale, de cette aube nouvelle, la voici : par la folie de la croix, voici que le propre Fils de Dieu vient nous prêter main forte. Son épaule est solide qui vient porter nos propres croix.
Le « Très Haut » se fait « Très Bas » pour mieux nous relever de sa main vigoureuse.

Il est temps de refermer la page du Vendredi saint.
Il est temps de laisser notre cœur s’embraser au feu de l’Esprit.
Il est temps de nous laver l’âme dans les eaux du baptême nouveau.

Voici venu le temps de tous les commencements, cet instant où – quel que soit notre age, notre histoire, nos blessures, nos limites… – Dieu vient nous créer, nous re-créer, comme il créa le ciel et la terre.
Voici, pour nous toutes et nous tous, le temps de l’éveil.
« Vous tous qui avez soif, venez, voici de l’eau ! »

13.3.10

Méditation pour le Dimanche 14 mars

4ème Dimanche de Carême


Mais quel est donc, Frères et Sœurs, ce « père » qui manque singulièrement d’autorité et qui laisse ainsi son fils claquer la porte pour aller s’éclater sans vergogne avec l’argent familial ?

Drôle de principes éducatifs plutôt « libertaires » qui évoquent son « soixante-huitard » un peu attardé !

Non seulement il laisse le « cher petit » se tirer avec l’oseille pour mener une vie de patachon, mais, au retour, au lieu d’une salutaire « prise de tête » avec l’ingrat, et d’une bonne « volée de bois vert » plutôt méritée, voici que ce
« père » lui déroule presque le tapis rouge !

Mais où va-t-on ? On voudrait saper définitivement le peu d’autorité parentale qui nous reste qu’on ne s’y prendrait pas autrement !

Bien évidemment, frère et sœur, une fois encore l’évangile nous invite à ne pas prendre ses paraboles au pied de la lettre !

Jésus, avec cette histoire de « fils prodigue », tente, une fois encore, de nous dévoiler le « vrai » visage de son Père, loin des caricatures dans lesquels, souvent, nous l’enfermons.

Il a fallu du temps, beaucoup de temps, pour que, dans l’histoire de la Révélation, nous passions progressivement de l’image d’un Dieu tout puissant, hautain, jaloux de son pouvoir, autoritaire, capable parfois de terrible colère à un Dieu de patience et de compassion, « lent à la colère et plein d’amour », un Dieu qui ne condamne pas, un Dieu qui aime à ce point l’homme qu’il le laisse totalement libre.
Quitte à ce que cet homme se serve mal de cette liberté !

Un Dieu qui, quoi que nous ayons fait de nos vies, ne nous laisse pas à genoux dans les ornières de notre culpabilité et derrière les barreaux de nos principes moraux « petits bourgeois » si souvent étriquées.
Un Dieu qui, toujours, nous relève et nous ressuscite…

Creusons un peu, Frères et Sœurs, l’image que nous avons de Dieu et que le Christ nous invite aujourd’hui à revoir, à modifier, à éclairer d’une lumière nouvelle.

Que font les deux fils ?
Bien que très différents, ils font finalement la même chose : ils « comptent » !

Ils font des additions, des soustractions, il font « chauffer la calculette » afin de savoir qui a droit à quoi, qui mérite quoi ?

Le « prodigue » commence par estimer que son Père lui « doit » son héritage avant de revenir penaud et d’affirmer qu’il ne « mérite » plus rien.

L’autre fils, celui qui est resté, celui qui soit-disant n’a pas fait un pas de travers, qui a respecté la bonne morale, qui a toujours dit « oui à Papa » estime que sa fidélité lui donne aussi des « droits » et qu’il « mérite » de la reconnaissance.

Mais le Père se fiche éperdument de cette sordide comptabilité !
L’amour de Dieu ne se met pas en formule arithmétique, il ne se soupèse pas !

Dans la grande histoire de la Révélation, toute la pédagogie de Dieu consiste justement à « casser » l’image d’un Dieu comptable, genre grand « contrôleur de gestion » qui noterait, sur son tableau « Excel » toutes nos fautes afin de nous faire payer un jour l’addition !

L’Epître de St Paul aux Corinthiens, que nous venons également d’entendre, peut nous aider à sortir de cette logique comptable.

L’Apôtre nous dit que :

« Dieu efface pour tous les hommes le compte de leurs péchés ».

Qu’est- ce que cela veut dire ?

Deux hypothèses :

Première hypothèse : depuis le commencement du monde, Dieu, comme le banquier grognon du « Petit Prince », fait le compte scrupuleux et tatillon de chacun de nos péchés. Puis, dans sa grande mansuétude, il se déclare prêt à « effacer l’ardoise » en envoyant son Fils se sacrifier pour nous, porter à notre place le poids de nos pêchés. Cela s’appelle, dans le jargon religieux, la « substitution » : le Christ serait venu sur terre se substituer à nous, il serait cette « victime sacrificielle » nécessaire qui, par son sang, rachèterait nos fautes.

Deuxième hypothèse : Dieu ne sait pas compter ! Dieu est totalement nul en math ! Jamais, depuis le commencement des temps, il n’a comptabilisé nos fautes. Et Jésus est venu sur terre tout simplement pour nous le prouver ! Pour nous dévoiler un Dieu d’amour au pardon infini…

Alors, voyez-vous, Frères et Sœurs, le travail de la Révélation, le travail que nous avons, chacune et chacun à mener, consiste sans doute à passer de la première à la seconde hypothèse !

Il nous faut tordre progressivement le cou à l’image d’un Dieu comptable. Lorsqu’il dialogue avec Abraham, Dieu ne parle jamais de « péché » mais « d’alliance ». Il ne compte pas, il aime !

Expérience que feront ensuite Moïse, David, Elie, Paul et tant d’autres…

Voici, Frères et Sœurs, une vraie bonne nouvelle pour nous ! Si Dieu ne tient pas le compte de nos fautes, alors, nous n’avons pas de « dette » à lui payer, pas de rétribution à lui verser, il ne va pas nous envoyer les huissiers, nous n’avons pas besoin que Jésus se « substitue » à nous pour laver, dans le bain de son propre sang, notre péché !

Jésus ne prend pas notre place, il ne se substitue pas à nous et à notre liberté. Non, il marche devant nous, il nous précède, il se mêle à notre humanité, il prend le risque total de la liberté humaine, quitte à ce que cette liberté mal utilisée finisse par le clouer sur la croix ! Jésus aime sans condition, sans nous faire signer, au préalable, la moindre reconnaissance de dette…

La vraie bonne nouvelle, Frères et Sœurs, c’est que Dieu n’a jamais fait le moindre compte de nos fautes. Que toujours son amour et son pardon nous précèdent. Toujours, il est ce Dieu, « lent à la colère et plein d’amour ». Cela ne gomme en rien notre responsabilité et l’impérieuse nécessité que nous avons à lutter contre notre péché, à nous convertir.
Se convertir, c’est, affirme Saint Paul dans notre épître, « se laisser réconcilier ».
Nous avons une triple réconciliation à opérer :

- d’abord nous réconcilier avec nous-même, car nous sommes souvent les premiers comptables de nos fautes, les premiers juges impitoyables de nos fragilités. Nous portons sur nos frêles épaules le poids de notre culpabilité. Nous jouons les comptables avec nos propres fautes. Nous estimons que nous ne méritons pas le pardon et l’amour de Dieu. Mais rappelons ce que nous dit Saint Paul : « Si ton cœur te condamne, Dieu est plus grand que ton cœur » !

- deuxièmement, nous avons à nous réconcilier avec les autres, car nous sommes souvent également des « juges » impitoyables pour les autres. Osons nous demander si nous sommes capables de réagir comme le Père du prodigue : oublier le mauvais compte de nos rancunes, oublier notre désir d’accuser l’autre dont nous estimons si souvent que lui seul à tord ! Rappelons-nous que Dieu nous appelle sans cesse à ouvrir les bras de la miséricorde : dans nos vies conjugales, familiales, professionnelles, ecclésiales…

- troisièmement, nous avons enfin – et ce n’est pas la moindre de nos tâches – à nous laisser réconcilier avec Dieu, ce qui commence toujours par un changement de regard sur Dieu, toujours autres que les images dans lesquelles nous l’enfermons, à commencer par celle de ce « comptable en chef » de nos fautes, qu’il n’a jamais été !

Comme le disait le philosophe Emmanuel Mounier :
« Dieu est assez grand pour faire de nos erreurs mêmes, une vocation » !

23.1.10

Méditation pour le dimanche 24 janvier 2010

3ème dimanche du temps ordinaire (année C)

J’ai d’abord pensé, Frères et Sœurs, vous dire ce matin quelques mots sur la première lecture extraite du livre de Néhémie :
c’est en effet un des grands textes de la Bible qui a notamment permis aux pères de l’Eglise d’Orient et d’Occident, et, à leur suite, à la plupart des moines, d’élaborer une méthode de lecture priante de la Bible. Cette fameuse « lectio divina » dont on reparle aujourd’hui et qui peut être une source abondante de prière pour chacune et chacun d’entre nous…

Et puis, je suis tombé, jeudi soir, à la télévision, sur une édition spéciale de l’émission « Envoyé spécial » en direct d’Haïti.
Images terribles des suites de cet effroyable tremblement de terre.
Hôpitaux dévastés, bondés, totalement désorganisés, sans médecins en nombre suffisant, sans salle d’opération, sans médicaments…
Images d’une ville entière jetée à la rue, dans un total dénuement.
Et puis, encore plus terrible peut-être, ces images d’orphelinats devenus pièges mortels pour de nombreux très jeunes enfants dont certains n’étaient plus qu’à quelques jours d’une adoption en France….

Alors, frères et sœurs, je me suis dit que ma petite présentation de la « lectio divina » pouvait attendre.
Je me suis dit que nous étions, vous et moi, requis par un autre « livre », celui de la vie et de la mort, celui de l’actualité la plus terrible.
Un « livre » qui, lui aussi, a besoin d’être traduit car son message nous semble parfois totalement incompréhensible.
Comment, face à tant de souffrance, ne pas nous reposer l’abyssale question que les hommes se posent depuis la nuit des temps :
« Si Dieu existe, pourquoi permet-il cela ? »
« Pourquoi donc ne fait-il rien ? »
« Pourquoi reste-t-il silencieux ? »…
Nous voici, une fois encore, confrontés à la question du mal. Un mal totalement aveugle, injuste, cruel…

Lorsqu’il s’agit de guerres, d’assassinats, de luttes fratricides, nous pouvons encore trouver un bout d’explication : c’est le cœur de l’homme qui est malade, rempli de haine.
Dieu n’est pour rien dans les guerres. C’est l’homme qui est fou !

Mais lorsqu’il s’agit d’un tremblement terre, d’un tsunami, d’une épidémie, d’une maladie pernicieuse… nous sommes désarmés, sans réponse et, comme Job, nous avons le réflexe bien compréhensible de crier vers le ciel :
« Mais que fais-tu donc toi, la-haut dans ton ciel, à nous laisser ainsi dans la souffrance et la mort ? »

Je ne prétends pas, Frères et Sœurs, répondre ce matin aux questions que nous pose le mystère du mal. Devant le mal, nous ne pouvons que balbutier.

Mais si nous ne pouvons pas répondre à ce grand mystère, nous pouvons au moins essayer d’écarter les fausses pistes, les fausses représentations qu’inévitablement nous nous forgeons…

Evoquons au moins ce matin l’un des points sur lequel nous butons le plus : l’image que nous avons de Dieu. Malgré nos efforts, et notre sincérité, cette image est, la plupart du temps, totalement déformée.
Nous projetons sur Dieu quantité d’obscures besoins, nous l’affublons d’oripeaux, nous le déguisons pour nous rassurer, nous le façonnons comme cela nous arrange !

Notre Dieu ressemble alors à une sorte de Jupiter, sorte de grand démiurge à la toute puissance absolue, sorte de potentat tirant, en coulisse, tel un marionnettiste, tous les fils de notre existence. Nous voudrions que Dieu ait créé un monde parfait, une humanité parfaite…
Nous sommes ainsi faits : en nous se trouve, depuis la nuit des temps, une image archaïque d’un Dieu à qui nous attribuons, comme dans les croyances les plus frustres et les plus ancestrales, la responsabilité de tout, du beau temps comme du mauvais temps, de la joie comme du malheur, un Dieu qui au travers des manifestations terrestres nous exprimerait sa satisfaction ou sa colère.
Une image archaïque qu’il nous faut sans cesse convertir.
Car, bien évidemment un Dieu qui pourrait empêcher que la terre tremble et qui ne le ferait pas serait un Dieu pervers, une épouvantable caricature de Dieu !
Un Dieu qu’il nous faudrait rejeter au plus vite !
Un Dieu qui ne pourrait nous conduire qu’à une forme saine et salutaire d’athéisme !

Non, Frères et Sœurs, le Dieu de Jésus-Christ n’est pas ce spectateur pervers qui, du haut du grand balcon du ciel, contemplerait nos souffrances sans lever le petit doigt ! Encore moins ce Dieu épouvantable qui nous enverrait la souffrance pour mieux nous éprouver !

Il nous faut – et c’est difficile ! – convertir l’idée même que nous nous faisons de sa « toute puissance ».

Le philosophe Gustave Thibon a cette formule forte :
« Il nous faut marcher vers Dieu, de ruine en ruine, à travers les éboulements successifs de l’image que nous nous faisons de Lui ».

Oui, Frères et Sœurs, il nous faut cesser de plaquer sur Dieu un modèle de toute puissance qui n’est qu’un modèle politique, celui du tyran qui peut tout ce qu’il veut.
Osons affronter ce grand mystère : « Dieu ne veut pas notre souffrance mais il n’a pas le pouvoir de l’empêcher. Le seul pouvoir de Dieu, c’est l’amour désarmé… » (Paul Ricoeur)

La seule toute puissance de Dieu, c’est la toute puissance de l’amour, dira le jésuite François Varillon. Dieu est tout puissant dans le sens où il est « tout aimant ».
Alors sa place n’est pas tant là-haut dans le ciel, à contempler nos malheurs, elle est, depuis que son fils est mort en croix, au cœur de la souffrance, au milieu des décombres de notre vie.
Un ami, aumônier d’hôpital, à qui on demandait un jour violemment : « Où donc est Dieu face à tant de souffrance », répondit : « Il est là, dans ce lit, dans ces draps trempés de sueur, au cœur même de la souffrance du malade… »

En cette semaine de prière pour l’unité des chrétiens, j’aimerais vous citer un grand philosophe protestant : « Dieu, dit Paul Ricoeur, n’a pas d’autre puissance que celle d’aimer et de nous adresser, lorsque nous sommes dans la souffrance, une parole de secours. Notre difficulté, c’est de pouvoir l’entendre ».

Il nous faut donc changer l’image que nous avons de Dieu, la laisser se modifier sans cesse par la contemplation du Christ, serviteur souffrant, à chaque instant à genoux devant l’homme…

Le pasteur Dietrich Bonhoeffer, exécuté par Hitler en 1945, nous a laissé ces lignes :
« Dieu se laisse déloger du monde et clouer sur la croix. Dieu est impuissant dans le monde, et ainsi seulement, il est avec nous et nous aide. »

Comprenne qui pourra !

Dans le reportage de France 2, il y avait un haïtien, installé avec sa femme et ses enfants sur le trottoir. Il avait tout perdu.
Le journaliste lui demandait s’il avait de la colère dans son cœur.
« De la colère ? Mais contre qui ? a-t-il répondu. Ni les hommes, ni Dieu ne sont responsables de notre malheur ! »
Infinie sagesse de cet homme simple qui, avec ses frères et sœurs d’infortune, sur ce trottoir dévasté de Port au Prince, s’est mis à chanter une prière à son Seigneur.

Face au malheur, face à l’infinie douleur du monde, nous sommes, Frères et Sœurs, tenté par la révolte et la colère.
La foi au Christ, serviteur souffrant, nous invite, comme Job, à transformer la mauvaise énergie de la colère en action, en geste d’amour, en agenouillement devant l’homme.
Osons, face aux drames qui nous laissent sans voix entendre l’appelle du Seigneur, tel que notre évangile de ce jour, nous le fait entendre :
« Il m’a envoyé porter la Bonne nouvelle aux pauvres… »

Et le Christ ajoute, dans la synagogue de Nazareth : « cette parole c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit ».

Oui, Frères et Sœurs, la Bonne Nouvelle, même au cœur des drames humains, n’est par renvoyer à demain, ou à après-demain. C’est aujourd’hui, au cœur de notre condition humaine blessée, qu’elle vient commencer à tisser le jour…

Dans son bidonville de la banlieue du Caire où elle avait été témoin de tant et tant de souffrance, Sœur Emmanuelle répétait inlassablement :

« Dieu n’a que nos mains pour transformer le monde et y habiter » !

Amen

18.1.10

Prier pour l'unité des chrétiens

« Les murs de la séparation ne montent pas jusqu’au ciel ! »

Au lendemain de la Révolution russe de 1917, un prêtre de Lyon, l’abbé Paul Couturier, rencontra des immigrés orthodoxes, et, convaincu de partager la même foi, il fut touché par le «scandale » de la division entre les confessions chrétiennes. Il méditait en son cœur la prière du Christ pour l’unité de ses disciples : « Père, que tous soient un, comme nous sommes un, afin que le monde croie. » (Evangile de Jean, 17, 21). Ce prêtre eut alors l’idée de promouvoir, à partir de 1933, une « Semaine de prière universelle pour l’unité chrétienne ». Cette initiative se poursuit encore aujourd’hui : du 18 au 25 janvier, les croyants de toutes les Eglises chrétiennes sont invités à prier pour l’unité.
Un événement qui risque fort cependant de passer inaperçu dans nombre de communautés. En ces temps de replis communautaristes et de réaffirmations parfois musclées de la doctrine, il est vrai que la belle aventure œcuménique perd un peu de son souffle. Localement, ici ou là, des « centre œcuméniques » nés des grandes espérances des années 70, se voient discrètement rogner les ailes ; le souhait incontestable du Pape de marcher vers l’unité se trouve parfois encore mis à mal par ceux qui continuent d’affirmer, sans sourciller, qu’on peut discuter de tout avec nos frères orthodoxes ou protestants, sauf de la primauté pontificale !
Un recul qui, à des degrés divers, se constate également dans les autres Eglises chrétiennes.
« Vouloir l’œcuménisme, c’est en prendre les moyens, affirmait le Père Bruno Chenu, théologien, membre du groupe œcuménique des Dombes fondé par l’abbé Couturier. Pas simplement battre la coulpe de l’autre, mais passer au peigne fin sa propre attitude ! »
Il est grand temps de réamorcer la source du dialogue œcuménique : les jeunes générations chrétiennes, celles de Taizé et d’ailleurs, qui expérimentent une fraternité internationale avec des jeunes orthodoxes et protestants, ne comprendraient pas que la marche vers l’unité continue de marquer le pas. C’est le Christ lui-même qui demande cette unité à ses disciples. L’œcuménisme n’est donc pas matière à option. L’oublier serait faire le jeu du « Diviseur », (le « diabolos » en grec…)
Nous ne devons avoir de cesse de pouvoir –enfin !–boire ensemble à cette coupe et partager ensemble le pain de l’unité. Unité des Eglises, unité des cœurs également. Car l’œcuménisme n’est pas qu’une question réservée aux théologiens, c’est d’abord une voie spirituelle.
« Chacun doit apprendre la part de vérité dont témoigne son frère chrétien et qui manque à la plénitude de sa propre confession de foi », disait encore Bruno Chenu.
Enzo Bianchi, fondateur du monastère de Bose, en Italie, communauté prophétique qui rassemble des catholiques, des protestants et des orthodoxes, l’affirme : « Le chemin de l’œcuménisme sera long et difficile, mais je crois qu’il est possible, à condition que les Eglises se soumettent les unes aux autres comme le font des frères et des sœurs dans une famille. »
Alors, n’attendons pas que l’unité se fasse « par le haut ». Vivons-là, sans peur ni replis, dans la fraternité de nos rencontres, à l’écoute du trésor de l’autre…
« Afin que le monde croie… »