19.3.09

La citation du jour

"Au-delà des crachats des médias qui fustigent le fanatisme catholique, si
heureux de pouvoir dire: CQFD, on se prend à se demander avec nostalgie pourquoi
l'Eglise ne pourrait pas ressembler davantage au Christ qui fait toujours passer
l'esprit avant la loi..."


Chantal Delsol, philosophe
Le Figaro- 18 mars 2009

Humeur chagrine

Vous êtes, Madame, chagrinée par le mauvais temps qui s’abat actuellement sur cette Église dans laquelle vous êtes engagée depuis près de quarante ans. La lettre que vous m’adressez témoigne – sans hargne mais non sans une dose revigorante d’indignation – de votre inquiétude.
Il y a, bien sûr, cette étrange « affaire » de levée d’excommunication qui vous reste en travers de la gorge. Non pas que vous ne compreniez pas la volonté du Pape de réduire, comme on le fait d’une mauvaise fracture, le schisme aveuglément ouvert par Mgr Lefebvre. Ce qui vous choque, c’est cette manière bien solitaire de procéder sans réelle concertation des évêques, à rebrousse-poil du « peuple de Dieu » – expression dont vous vous demandez si elle a encore cours aujourd’hui.
Ce qui vous trouble – au-delà de l’écœurante profession de foi révisionniste de ce prélat schismatique – c’est le caractère bien peu repenti de certaines des brebis égarées à qui la porte est généreusement ouverte, mais qui donnent le désagréable sentiment de vouloir sabrer le champagne en coupant, du même mouvement, la tête de Vatican II !

Il y a aussi cette incompréhensible excommunication au Brésil, à propos de l'avortement pratiqué sur une enfant violée par son beau-père (voire ci-dessous) ; et puis encore (cela commence à faire beaucoup !) cette déclaration choquante du Pape sur le préservatif, à l'orée d'un voyage en Afrique, continent le plus touché par le sida...

Plus profondément, Madame, vous me confiez votre « fatigue » devant des « blocages », des « marche arrière » : un mauvais cléricalisme qui pointe le bout de son nez et semble vouloir remettre les laïcs « à leur place » ; le retour à une conception discutable du sacré et de la liturgie ; des rappels à l'orthodoxie morale qui claquent comme des portes qu'on referme sur le difficile "métier de vivre"; des responsabilités encore bien timides laissées aux femmes dans une institution ecclésiale au gouvernement trop masculin ; l’impasse dans laquelle on laisse les divorcés qui prétendent renaître à l’amour ; et cette peur lancinante du monde contemporain…

Puis-je vous dire, chère Madame, que je comprends votre fatigue et qu’il m’arrive de partager certaines de vos impatiences. L’Église a, ces temps-ci, mal à la modernité. Mais l’Évangile n’attend pas : il nous invite à l’audace et non au repli, à la compassion et non à la mise sur le banc de touche. Il nous invite surtout – plutôt qu’à ressasser nos « problèmes internes » – à aller « hors les murs », vers les hommes et les femmes qui, dans ces temps déboussolés, cherchent un peu de fraternité, de sens, une foi, une espérance…

J’ai perçu, dans votre lettre, Madame, comme une tentation : celle de claquer la porte, de partir sur la pointe des pieds, de « rendre votre tablier » de chrétienne engagée. S’il vous plaît, n’en faites rien !
L’Église a besoin de vous, de votre foi, de votre compétence, de votre « espérance à toute épreuve » ; de vos « coups de gueule » aussi !
La liberté de parole n’empêche pas la fidélité : cessons donc de confondre « communion » et « unanimité » ! S’ils étaient en communion de foi, les premiers chrétiens n’étaient pas toujours d’accord entre eux. Et cela n’est pas, que je sache, un péché !
Entre repli identitaire et ouverture naïve au monde, difficile est le sentier. L’Église cherche sa voie et n’a pas trop de tous ses membres – sincères et fidèles au phare du Concile – pour tracer la route. Quitte à ce que cela tangue parfois sous les voûtes.
Avant d’être une institution humaine qui, inévitablement, a ses limites, l’Église est, ne l’oublions pas, ce « corps » mystérieux par lequel Dieu prend visage en ce monde…
Difficile chemin que le nôtre : il nous faut croire au Christ Ressuscité, avec l’Église, parfois malgré l’Église, mais jamais sans l’Église !